Dissolution d’Academia Christiana : Comment le gouvernement peut-il dissoudre un mouvement ?
Dernière modification : 16 décembre 2023
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Les dissolutions d’associations ou de groupements visent certes l’ordre public, mais au prix d’une atteinte grave à la liberté d’association qui est constitutionnelle. La loi l’encadre donc très strictement, et de son côté le juge veille…
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé vouloir dissoudre certains mouvements et associations d’ultra-droite. Parmi eux, Academia Christiana, un mouvement catholique traditionnaliste que le ministre de l’Intérieur accuse d’appel à la haine et à la discrimination, ce qui est pénalement répréhensible.
De façon plus générale, face à tant de dissolutions et aux potentielles atteintes à la liberté d’expression comme de réunion, comment s’effectue la dissolution d’un mouvement ou d’une association par l’administration ?
Les motifs légaux de dissolution d’un mouvement
La dissolution administrative d’une association est décidée par décret en Conseil des ministres. Selon l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, elle peut être fondée par plusieurs motifs, dont la provocation à la discrimination ou à la haine envers des personnes en raison de leur ethnie ou de leur religion. D’après le ministre de l’Intérieur, c’est le cas d’Academia Christiana, accusée d’appel à la haine et à la discrimination.
Un mouvement peut également être dissout lorsqu’il participe à des activités de terrorisme ou en fait l’apologie. C’est l’argument que Gérald Darmanin avait avancé pour prononcer la dissolution des Soulèvements de la Terre, annulée depuis par le Conseil d’Etat. Le ministre avait alors accusé ces militants d' »éco-terrorisme ». De nombreuses associations, surtout religieuses, ont été dissoutes sur ce fondement si elles soutiennent les attentats commis par des organisations comme Daesh. C’était le cas pour deux associations en 2022.
Si un groupement commet des violences, il pourra aussi être dissout. En 2021, Gérald Darmanin a dissout le mouvement Génération Identitaire pour des actions commises à la frontière italienne contre les migrants arrivant en France.
Il existe enfin d’autres motifs de dissolution comme le caractère de milice privée d’un groupe (les milices, de triste mémoire, sont interdites en France), ou l’atteinte à l’intégrité du territoire et à la forme républicaine du gouvernement.
Une dissolution administrative souvent contestée devant le juge
Le décret pris en Conseil des ministres et portant dissolution peut être contesté devant le Conseil d’Etat. Comment statue le juge ? Une dissolution porte forcément atteinte à la liberté d’association qui a valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision du 16 juillet 1971), au nom de l’impératif d’ordre public, qui est aussi un objectif de valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision du 27 juillet 1982). Le juge vérifie donc si cette dissolution n’est pas disproportionnée au regard du trouble à l’ordre public dont l’association serait à l’origine. Il concilie ainsi deux principes constitutionnels.
Le juge doit donc vérifier, au cas par cas (et jamais de manière générale et abstraite) si la dissolution est suffisamment adaptée, proportionnée et nécessaire face aux agissement du groupement en cause. C’est sur la base de ce raisonnement qu’il a suspendu le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre (Conseil d’Etat, décision du 11 août 2023), mais pas celui de Génération Identitaire. La différence entre ces deux décisions réside dans le fait que, selon le Conseil d’Etat, le mouvement des Soulèvements de la Terre n’est pas directement responsable des violences commises contre des biens lors d’affrontements à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) en mars 2023, alors que Génération Identitaire prône « une idéologie incitant à la haine et à la violence envers les étrangers et la religion musulmane ».
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