Didier Lallement à une femme gilet jaune : “nous ne sommes pas dans le même camp, madame”
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay
Source : TMC, « Quotidien », 18 novembre 2019
Soit le préfet de police se situe lui-même dans le camp de l’ordre, et assimile les gilets jaunes au camp du désordre. Ce n’est pas nécessairement un commentaire politique, mais le terrain est glissant. Soit il considère le camp politique des gilets jaunes et s’en démarque politiquement. C’est orienté et contraire au devoir de réserve. Et dans ce cas il a glissé.
Simple bourde ou faute déontologique ? Croisant une femme gilet jaune, alors qu’il inspecte les forces de police place d’Italie à Paris, le préfet de police coupe court à une discussion sur les casseurs et les dégâts causés, en assenant une « eh bien nous ne sommes pas dans le même camp madame ». Traduction : lui serait dans le camp de l’ordre et elle, en tant que gilet jaune, dans celui des casseurs.
Première façon de considérer ce comportement : en tant que préfet de police, il est dans sa fonction de maintien et de rétablissement de l’ordre, et son interlocutrice serait dans sa fonction contestataire, donc « en face ». Il y a bien deux camps au sens commun du terme : elle est du côté administré et il est du côté des forces de l’ordre. Le préfet de police ne ferait donc que rappeler sa fonction : ce serait donc une sorte de « rappel à la loi » que toute autorité représentante de l’ordre (dont les maires) est fondée à prononcer face aux administrés. Reste que c’est un peu brutal, et au minimum maladroit face à une femme qui lui expliquait que ses propres valeurs ne la portaient pas à casser.
Seconde façon de considérer ce comportement : le préfet de police évoque des camps politiques : celui des gilets jaunes, et celui de… lequel d’ailleurs ? Or le préfet de police n’est dans aucun camp au sens politique. Bien que tenu par un devoir de loyalisme absolu à l’égard du gouvernement dont il applique la politique sur le terrain, il n’est pas une autorité politique et n’est donc pas dans le camp politique du gouvernement. Si comme tout le monde il peut avoir ses idées politiques, il ne peut les exprimer en public : c’est le devoir de réserve, qui s’applique à tout agent public en vertu du statut des fonctionnaires. Ce devoir de réserve s’explique par le devoir de neutralité qui s’applique à tous les services publics, devoir de neutralité qui découle ni plus ni moins du principe constitutionnel d’égalité. Le préfet de Paris aurait donc dû face à cette femme gilet jaune s’abstenir de tout propos pouvant être interprété politiquement, même si ce n’était pas sa pensée. Il a donc assurément dérapé.
On peut citer une vielle affaire, d’un préfet qui avait recruté une présidente d’association féministe comme chargée de mission à la préfecture à ses côtés. Peu de temps après, elle était licenciée pour avoir critiqué l’action du premier ministre de l’époque. Et le juge donna raison au préfet, car elle n’avait pas respecté son devoir de réserve. De là à démettre le préfet de police de Paris pour non-respect du devoir de réserve lors d’un propos très ambigu, alors même qu’il se savait filmé, c’est peut-être excessif. On peut seulement s’étonner qu’un préfet de police si expérimenté se prête ainsi à une médiatisation sans au moins contenir ses propos. A ce rang de la haute fonction publique, c’est gênant.
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