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Destitution d’Emmanuel Macron : la proposition de LFI a-t-elle une chance d’aboutir ?

Le président Emmanuel Macron. Photo : Ludovic Marin/ POOL / AFP)
Création : 19 août 2024
Dernière modification : 27 août 2025

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteurs : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

La France Insoumise a annoncé le dépôt d’une motion de destitution contre le chef de l’État, prévue par la Constitution. Mais la procédure est si exigeante qu’elle a peu de chances d’aboutir.

C’est reparti. Au lendemain de l’annonce de François Bayrou de convoquer l’Assemblée nationale pour chercher — sans trop y croire — la confiance des parlementaires, La France Insoumise (LFI) a dégainé une nouvelle arme ce 26 août : une proposition de destitution du président de la République, qui sera déposée le 23 septembre 2025.

La destitution n’est pas une lubie politique : elle est prévue par l’article 68 de la Constitution. Ce dernier permet de révoquer le chef de l’État en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Autrement dit, si son comportement — politique ou privé — entache la dignité de sa fonction.

Le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en décembre 2024, il avait tenté de faire tomber le chef de l’État, sans succès. Et pour cause : la procédure, aussi spectaculaire qu’elle puisse paraître, est pensée pour n’aboutir qu’en cas d’un consensus politique quasi total. Autant dire que les chances de succès sont infimes.

Débat sémantique et juridique 

Mais avant d’examiner les obstacles procéduraux, encore faut-il préciser ce que recouvre ce fameux « manquement à ses devoirs » : une notion récente, aux contours encore flous qui ne fait pas consensus chez les juristes.  Depuis la révision constitutionnelle de 2007, les causes de destitutions ont été élargies : il ne s’agit plus seulement de « haute trahison », mais d’un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Une évolution qui n’allège pas la procédure — toujours extrêmement verrouillée — mais qui ouvre davantage le champ des griefs susceptibles d’être invoqués.

Concrètement, il ne s’agit plus uniquement de trahison d’État : des situations plus « ordinaires » peuvent désormais être envisagées, comme le non-respect des obligations constitutionnelles. Dans cette logique, La France Insoumise estimait qu’Emmanuel Macron avait commis un manquement en refusant, par exemple, de nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire, la force politique arrivée en tête des élections législatives anticipées.  C’est sur ce grief que LFI avait déjà déposé une motion de destitution en décembre 2024.

Mais cette interprétation reste contestée. La notion de « manquement manifeste » relève autant de l’analyse juridique que de la sémantique, et ses contours font débat parmi les spécialistes. Mais l’enjeu n’est pas là, car in fine le seul véritable obstacle de cette procédure reste le rapport de force parlementaire.

Une procédure qui requiert un large consensus

Si la définition a été élargie, la procédure, elle, reste d’une redoutable complexité. Une loi organique précise la mise en œuvre de l’article 68 : d’abord, il faut qu’au moins un dixième des députés ou des sénateurs déposent la proposition. Ensuite, chaque chambre doit l’adopter à la majorité des deux tiers. Si l’une d’elles dit non, la procédure s’arrête net. Si, au contraire, les deux disent oui, alors le Parlement se réunit en « Haute Cour » pour voter, encore une fois aux deux tiers, la destitution du chef de l’État.

Un détail important : cette sanction est politique, pas judiciaire. Pendant son mandat, le président bénéficie d’une irresponsabilité pénale. Il ne peut donc être poursuivi devant les tribunaux pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions — sauf pour les crimes les plus graves relevant de la Cour pénale internationale (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre).

Des tentatives jamais abouties

Plusieurs formations ont déjà tenté de lancer la procédure. En 2001, une pétition d’élus de gauche avait été déposée pour demander la destitution du président de la République Jacques Chirac. En 2016, c’était au tour de la droite de déposer une proposition pour destituer le Président François Hollande, accusé de violation du secret de la défense nationale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

La tentative annoncée par LFI s’inscrit donc dans une longue série de coups d’éclat politiques, plus symboliques qu’efficaces. Pour espérer aboutir, il faudrait un accord massif et transversal entre députés et sénateurs, ce qui paraît aujourd’hui hors de portée.

[Mise à jour : publié le 19 août 2024, cet article a été revu afin de refléter l’évolution de l’actualité le 27 août 2025.]