Capture d'écran Facebook

Des grêlons géants “de plus de 100 kg” se sont-ils vraiment abattus sur le Japon ?

Création : 21 mai 2024

Autrice : Sasha Morsli Gauthier, étudiante à Sciences Po Paris

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : Compte Facebook, 1er mai 2024

Selon une vidéo, la présence d’immenses blocs de glace éparpillés dans un champ serait le résultat d’une grêle hors du commun survenue au Japon. Or, de la localisation à l’affirmation scientifique, tout est faux. La preuve en “tuto”.

De quoi entrer dans le Guinness des records. À l’heure où les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient, de nombreuses vidéos de ces catastrophes sont diffusées sur les réseaux sociaux.

L’une d’entre elles a particulièrement retenu notre attention. Dans un reel Facebook qui comptabilise 127 000 vues, on aperçoit une agricultrice, manifestement dans une serre, qui pose à côté d’un bloc de glace d’environ un mètre de diamètre. Plusieurs autres morceaux sont éparpillés dans la culture.

L’internaute à l’origine de la publication affirme qu’il s’agit de grêlons “de plus de 100 kg” et de “1m, 1m50” de diamètre, qui seraient donc “tombés du ciel” sur une exploitation agricole japonaise.

Du jamais vu, qui s’expliquerait, selon l’internaute, par le dérèglement climatique : “Les climatologues et les météorologues s’accordent tous à dire que c’est dû aux perturbations climatiques […]. Ce genre de phénomène va se produire de plus en plus.” De quoi en effrayer plus d’un dès qu’un orage est annoncé.

Mais, gardons la tête froide. Les Surligneurs ont mené l’enquête, et la conclusion est sans appel : les affirmations de l’internaute sont fausses.

Le bon moment, mais au mauvais endroit

Premièrement, en ce qui concerne le pays où cette vidéo aurait été tournée, plusieurs éléments nous permettent de contredire l’internaute.

Un premier indice est le texte présent au bas de la vidéo. Il est en espagnol : “Enorme granizo golpeo un campo al sur de Bijie” (en français : “D’énormes grêlons se sont abattus sur un champ au sud de Bijie“). La dernière ligne nous donne même une information sur la date : “Chine, le 18 avril 2024.” Intéressant, mais insuffisant. En effet, on ne connaît ni l’origine, ni l’auteur de cette description, la situation pourrait finalement avoir lieu n’importe où.

Lorsqu’on recherche les mots-clés “Bijie” (une ville-préfecture chinoise) et “grêle” sur les réseaux sociaux, on retrouve la vidéo originale. Un premier indice, d’autant plus qu’on y entend des personnes employer un dialecte parlé à Bijie, comme l’a confirmé un sinophone aux Surligneurs.

Un second indice est le type de plantation présente dans la serre. Une recherche Google Lens des plantes aperçues dans la vidéo nous permet d’identifier deux potentielles espèces : le manioc et le Schefflera leucantha. Deux plantes cultivées dans la province du Guizhou, située au sud de la Chine.

La vidéo aurait donc plutôt été tournée du côté de l’empire du Milieu qu’au pays du Soleil levant, plus précisément aux alentours de Bijie, dans le Guizhou.

Un orage de grêle

Cherchons ensuite s’il a bien grêlé, le 18 avril dernier dans la ville de Bijie, comme l’affirme l’inscription dans la vidéo.

Là encore, une recherche par mots-clés, en mandarin cette fois, nous permet de trouver plusieurs articles et vidéos qui font état de cet événement. Le média digital The Paper relate par exemple : “Le 18 avril à 16 heures, la station météorologique de Bijie a émis une prévision d’approche à court terme […]. Dans les 3 prochaines heures, des orages accompagnés de grêle se produiront dans la ville de Bijie.” La chaîne de télévision New Tang Dynasty décrit, quant à elle, “le toit de certaines voitures défoncé”,“les arbres des rues urbaines abattus” et “une route transformée en rivière de glace.”

Un rapport d’information, dont l’objectif vise à évaluer l’impact climatique à Bijie pour le mois d’avril 2024, a d’ailleurs été publié le 7 mai dernier par le bureau météorologique de la ville. Ce dernier dénombre “10 tempêtes de grêle dans la ville, dont celles des 18 et 28 [avril] ont été violentes.” Cette fois, le doute n’est plus permis. La vidéo a bien été tournée à Bijie, au sud de la Chine.

Des grêlons gigantesques ?

Mais pas de précipitation : si les articles et le rapport parlent bien d’un phénomène de grêle important, la taille maximum des grêlons enregistrée n’atteint selon ce rapport “que” 70 millimètres, soit la taille d’un petit surligneur de poche : “Les fortes précipitations (…) du 18 avril ont été les phénomènes météorologiques extrêmes les plus importants de cette année“, note le document.

Un chiffre conséquent, mais qui reste bien loin du “1m, 1m50” et des “100 kg” avancés par notre internaute. D’autant que, selon l’Organisation mondiale météorologique (OMM), le plus lourd grêlon jamais enregistré pesait 1.02 kg, et le plus grand mesurait 20,32 cm, selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique.

Interrogé par Les Surligneurs, Davide Faranda, chercheur CNRS en climatologie au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement de l’Université Paris-Saclay, est catégorique : “Il ne s’agit pas de grêlons. La formation de grêlons de 1 mètre de diamètre est extrêmement improbable, voire impossible, en raison des limitations physiques et des conditions atmosphériques nécessaires pour la formation de grêle.

Selon le scientifique, “si des grêlons de 1 mètre de diamètre se formaient et tombaient, ils causeraient des destructions massives“. En effet, nul doute qu’infrastructures, environnement et vies humaines seraient gravement menacés par un tel phénomène.

Mais alors, comment expliquer la présence de ces gigantesques “morceaux de banquise“, longs de plus d’un mètre, éparpillés dans une culture ?

Dans les mailles du filet

En réalité, tout réside dans l’équipement de protection de la culture montré dans la vidéo. La serre est en effet protégée par un filet paragrêle. Composé de mailles larges de quelques millimètres à peine, il permet de retenir, notamment lors d’intempéries, les grêlons tombés du ciel avant qu’ils n’endommagent les récoltes.

On en déduit que les grêlons tombés ce jour-là — pas plus grands que 7 centimètres de diamètre, rappelons-le — se sont amassés sur le filet pour former des blocs de glace, et ont ensuite déchiré le filet de protection. D’ailleurs, on aperçoit dans la vidéo que certaines parties du filet paragrêle ont effectivement chuté sous le poids de ces amas de grêlons, tandis que d’autres les supportent encore.

Ainsi, nous n’avons pas affaire à un phénomène météorologique extraordinaire, mais plutôt à l’interprétation grossière d’une vidéo opportune. Toutefois, la multiplication des phénomènes extrêmes due au dérèglement climatique est, elle, bien réelle.

Des phénomènes extrêmes comme s’il en pleuvait

Selon un rapport de l’OMM, les indicateurs du changement climatique ont atteint des niveaux records en 2023. L’Asie reste le continent le plus impacté par ce dérèglement l’année passée, avec plus de 80 % des catastrophes hydrométéorologiques liées à des inondations et à des tempêtes.

Au sud de la Chine, des pluies torrentielles survenues le mois dernier ont déjà fait plusieurs morts et entraîné l’évacuation de plus de 100 000 personnes. Et cela ne risque pas de s’arrêter : selon le média Xinhua, “Le sud de la Chine connaîtra des précipitations supérieures à la moyenne en mai 2024“, une intensification également prévue par le bureau météorologique de Bijie.

Évidemment, il n’est pas question de grêlons géants. Mais pour Davide Faranda, spécialiste des événements météorologiques extrêmes, “ces phénomènes ont augmenté en fréquence et en intensité ces dernières décennies.” Tout comme la désinformation climatique sur les réseaux sociaux.

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