Dernière Rénovation : “C’est le moment de se renouveler”
Propos recueillis par Clotilde Jégousse, journaliste
L’un des porte-parole revient sur le combat du collectif, qui a annoncé l’arrêt de sa campagne lundi 18 décembre devant le tribunal judiciaire de Paris. Il n’entend pas pour autant disparaître.
Hier encore, ils bloquaient des routes et aspergeaient les bâtiments symboliques de peinture orange pour alerter l’opinion sur la nécessité de rénover les passoires thermiques. Après 188 actions coup de poing, de nombreuses interpellations et comparutions devant les tribunaux, les militants de la campagne Dernière Rénovation tirent leur révérence. Le temps de se saisir d’autres causes, pour le moment gardées secrètes. Quentin Jouffre, ingénieur de 25 ans et porte-parole du mouvement, revient sur les revendications du collectif et les raisons de son engagement, né d’un sentiment “d’impuissance politique”.
Pendant un an et demi, vous avez appelé à « entrer en résistance civile » pour demander la rénovation thermique des bâtiments. Pourquoi ce sujet ?
C’est l’un des thèmes qui ont émergé de la Convention Citoyenne pour le Climat. Les bâtiments, en grande partie résidentiels, sont responsables de 20% des émissions de gaz à effet de serre en France, et on sait qu’il est possible de les réduire drastiquement en engageant des rénovations intégrales. C’est aussi un enjeu de justice sociale extrêmement fort : 12 millions de personnes vivent en situation de précarité énergétique dans le pays. Chaque été, on bat des records de personnes qui décèdent dans leur logement à cause de la chaleur.
Personnellement, qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager ?
Pendant près de six ans, je suis allé manifester, j’ai signé des pétitions et travaillé avec toutes sortes d’organisations. Rien n’a fonctionné. La seule entité qui a la capacité d’imposer un changement, c’est le gouvernement, et il ne fait absolument rien. Pire, il refuse et empêche méticuleusement les choses d’avancer. On est face aux limites planétaires, on ne peut pas faire de compromis. Ça me laisse un sentiment d’impuissance politique, je dois donc me résoudre à enfreindre la loi pour une cause absolument juste et nécessaire.
Vous allez néanmoins changer de cap …
On ne laisse pas tomber la rénovation, mais il faut porter d’autres revendications. Depuis mars 2022, on a réussi à mettre le sujet sur la table des négociations politiques. Au pic de nos actions, une commission d’enquête sur la rénovation a été lancée, qui a abouti à un rapport édifiant [NDLR : il a dénombré 5,2 millions de logements comme des passoires énergétiques], et à des déclarations d’Elisabeth Borne. L’État a augmenté son budget de quasiment 50%. Même si cela reste insuffisant, c’est tout de même une victoire. À côté de cela, on a conscience que l’espace médiatique s’est habitué à nos modes d’action, ce qui leur fait perdre en efficacité. C’est le moment de se renouveler, d’ouvrir d’autres boîtes pour créer le changement. On va revenir avec de nouvelles revendications, avec des échéances bien identifiées et qui pourront être déclinées à l’échelle locale.
Vous plaidez invariablement “l’état de nécessité”, l’irresponsabilité pénale pour une personne qui agit face à un “danger actuel ou imminent”. Jusqu’à présent, ça n’a jamais fonctionné. Pourquoi continuer ?
Contrairement aux actions de “désobéissance civile” qui consistent à désobéir à une loi pour la faire évoluer, on a entravé la circulation non pas dans l’espoir de changer le code de la route, mais pour attirer l’attention sur l’urgence climatique. Les avocats sont donc réellement convaincus que l’article 122-7 du code pénal, qui prévoit une absence de responsabilité pour une personne qui agit face à un danger “actuel ou imminent” la menaçant, pourrait s’appliquer. On a un certain nombre de signaux de plus en plus positifs, et on pense pouvoir faire jurisprudence. Plusieurs de nos militants jugés coupables ont été dispensés de peine. En Angleterre des juges ont dit : “Je suis obligé d’appliquer la loi, mais j’ai conscience que, dans 5 ans, je vais le regretter”. De plus en plus de magistrats commencent à avoir des états d’âme. Mais ce qu’on veut, c’est que la justice se positionne clairement sur ces sujets.
Les scientifiques vous soutiennent-ils ?
Non seulement ils nous aident, mais ils prennent part aux actions. Agnès Ducharne, grande climatologue et hydrologue française, chercheuse au CNRS, est allée bloquer des routes. On est aussi accompagnés par Michel Forst, rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme à l’ONU.
Certains vous qualifient pourtant “d’écoterroristes” …
Le terme n’a aucune valeur juridique, c’est une arme politique, rien d’autre. Ceux qui détruisent la terre, le vivant, sont précisément ceux qui l’emploient pour faire “homme de paille”, et nous coller une étiquette de “violents”. On est face à une bête blessée, qui est acculée et qui cherche à faire mal à tout prix. Ce qui est effrayant, c’est la réalité du changement climatique. Mais les gens sont suffisamment lucides pour se faire leur propre opinion. Ce que nous apprend l’histoire politique, c’est que la résistance civile non violente fonctionne. On y croit sincèrement, et on est de plus en plus nombreux partout en France.
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