Raphaël Glucksmann : l’Union européenne ne dispose pas d’instruments commerciaux qui permettent d’interdire des produits d’entrer sur le marché européen provenant d’entreprises recourant à l’esclavage
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Léon Gautier, étudiant, M2 de droit européen à l’Université Paris-Est Créteil, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris II Panthéon-Assas
Source : EURACTIV, 19 janvier 2021
L’Union européenne peut conditionner ses accords commerciaux avec des pays tiers au respect des droits de l’homme par ces pays, en l’occurrence la Chine. Des textes, certes non contraignants, prévoient cette possibilité. L’outil existe donc bien, mais toujours pas la volonté de l’utiliser.
Évoquant la conclusion d’un accord sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine, qui contraint la minorité Ouïghour à du travail forcé, Raphaël Glucksmann (député européen S&D) a regretté que l’Union ne dispose pas d’instruments commerciaux qui permettraient d’interdire l’entrée sur le marché européen pour des entreprises recourant à l’esclavage. Pourtant, le traité sur l’Union européenne prévoit la possibilité d’utiliser de tels mécanismes.
L’accord passé entre la Chine et l’Union européenne porte sur la possibilité pour les deux signataires, de réaliser des investissements au sein de leurs marchés respectifs. Cependant, la proposition de M. Glucksmann relève de la politique commerciale commune de l’UE qui est une compétence exclusive de l’Union : les institutions européennes peuvent décider des actions à mener dans ce domaine sans consulter les États membres.
Il est à noter que le Traité sur l’Union européenne (article 21) prévoit, dans son action sur la scène internationale, que l’Union doit veiller au respect de la dignité humaine et de l’État de droit. Dans la plupart de ses accords commerciaux et des accords de coopération et de développement avec les pays tiers, l’UE insère des clauses énonçant que le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques sont des éléments essentiels de l’accord. Le non-respect de ces clauses peut aboutir à la suspension de l’accord.
Dans cette optique, la Commission européenne précise que les accords commerciaux obligent l’Union et ses partenaires à respecter et à mettre en œuvre les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail notamment sur le travail forcé ou obligatoire. Ces objectifs ne sont pas juridiquement contraignants : ils exposent l’esprit dans lequel la politique commerciale de l’UE doit se développer.
Ainsi dans le cadre du CETA, accord commercial signé entre l’UE et le Canada, des chapitres (22, 23 et 24) entiers ont pour but d’accompagner les échanges commerciaux et les investissements d’un renforcement de la protection des droits du travail et de l’environnement.
Par ailleurs, en tant qu’organe représentant les citoyens européens, le Parlement européen a également son mot à dire dans l’adoption des accords commerciaux pris dans le cadre de la politique commerciale commune. En vertu de l’article 218 du TFUE, le Parlement doit donner son approbation avant que le Conseil ne conclue certains types d’accords, dont les accords commerciaux.
Reste que, et Raphaël Glucksmann a raison sur ce point, ces clauses sont prévues par des instruments juridiques non contraignants : la Commission peut choisir de ne pas les insérer dans un accord, d’autant que comme pour tout contrat, il faut que l’autre partie accepte. Or la probabilité que la Chine accepte une telle clause étant infime, l’accord commercial tant recherché n’aurait donc pas été conclu. Si Raphaël Glucksmann souhaite rendre systématique l’insertion de telles stipulations dans les accords passés par l’Union européenne, il lui faut travailler à la rédaction d’une proposition de règlement européen dans ce sens, qui s’impose à la Commission européenne chaque fois qu’elle négocie un accord.
Enfin, au sujet de sa volonté de faire interdire des marchandises produites par des entreprises recourant au travail forcé des Ouïghours, des précédents démontrent la possibilité de cibler spécifiquement certains produits. Par exemple, l’Union a déjà adopté des normes à l’encontre de marchandises produites par des entreprises ayant des agissements contraires aux droits de l’Homme, comme en 2009 pour la commercialisation des produits dérivés du phoque. L’Union avait alors agit par un règlement, qui a alors un caractère contraignant et doit être appliqué directement par les Etats membres.
Contacté, Monsieur Glucksmann a apporté des précisions sur les objectifs qu’il poursuit, et a notamment confirmé sa volonté de voir l’Union européenne se doter d’un instrument juridique contraignant qui lui permette d’interdire l’importation des produits issus de graves violations des droits humains.
[Article modifié le 20 janvier 2021 à 19h35] L’article a fait l’objet de modifications afin de préciser les fondements juridiques des outils non contraignants existants au sein de l’Union européenne.
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