Crédits photo : Siren-Com (CC 3.0)

Cyril Hanouna : “le boycott de ‘Touche pas à mon poste’ (…) c’est un acte antisémite »

Création : 10 novembre 2023

Auteurs : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal et sciences criminelles, Université Paris-Nanterre 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

 

Source : Europe 1, 1er novembre 2023

L’appel au boycott d’une émission de télévision n’est pas illégal en soi, sauf s’il s’accompagne de “provocations” ou d’”incitations” à la haine en raison de la religion, qui sont des délits. Le téléspectateur qui se contente de changer de chaîne parce qu’il réalise que Cyril Hanouna est juif commet bien un “acte antisémite”, mais qui n’est pas répréhensible pénalement.

Cyril Hanouna, célèbre animateur de l’émission “Touche pas à mon poste”, a vu son audience baisser, ce qu’il impute à des appels au boycott en raison de la manière dont ont été traitées les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Même si cette baisse d’audience ne semble pas seulement liée au traitement de la guerre entre Israël et le Hamas car elle avait débuté avant, les appels au boycott ont probablement accentué cette tendance que déplore l’intéressé : “la semaine dernière quand il y a eu un boycott de ‘Touche pas à mon poste’, vous croyez que ce n’est pas un acte antisémite ça. Vous croyez quoi ? Moi je vous le dis moi, c’est un acte antisémite (…). J’ai même vu des gens qui cherchaient les sociétés où j’avais des parts pour les boycotter”. 

Or en droit, un boycott n’est pas forcément un acte répréhensible, et  l’acte antisémite n’est pénalement répréhensible que s’il répond à certaines conditions et notamment à la définition de la discrimination fondée sur la religion.

Le boycott, expression de la liberté d’opinion

L’appel au boycott est considéré comme une manifestation de la liberté d’expression par la Cour de cassation tant qu’il ne s’accompagne pas d’une rhétorique de provocation à la haine raciale. Elle a jugé ainsi à propos des appels au boycott de produits ou d’entreprises israéliennes, qu’ils constituent un délit lorsqu’ils “portent atteinte aux droits d’autrui”, notemment par une “provocation publique à la discrimination à raison de l’origine de la société” (Cour de cassation, crim., 17 octobre 2023), mais qui n’en sont pas lorsqu’ils “s’inscrivent dans le cadre d’un débat d’intérêt général” et que “les propos incriminés ne contiennent pas, même sous une forme implicite, en eux-mêmes d’appel ou d’exhortation à la discrimination” (Cour de cassation, crim., 23 mai 2018). Le Cour européenne des droits de l’homme est sur la même ligne (CEDH, 11 juin 2020).

En conséquence, pour que Cyril Hanouna ait raison, il faudrait prouver que les appels au boycott de son émission comme des sociétés dont il est actionnaire, s’accompagnent par exemple de slogans ou d’insinuations incitant à la discrimination en raison de sa religion. Ainsi, le boycott peut être la manifestation d’une opinion, il ne doit pas être l’outil d’un appel à la discrimination en raison de la religion. Le seul appel à boycotter une émission en raison d’une orientation pro-israélienne n’est donc pas répréhensible,  s’il ne porte pas de provocation à la haine.

“Acte antisémite” n’est pas une notion de droit pénal

Indépendamment du caractère moralement inadmissible de toute opinion raciste, antisémite, homophobe, etc., ces opinions n’en restent pas moins des… opinions et il n’existe – heureusement – pas de police des opinions. 

L’acte antisémite”, comme le dit Cyril Hanouna, n’existe pas en tant que tel dans le Code pénal, qui évoque des “provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence” en raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance réelle ou supposée à une “ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée” (article 24 de la loi du 29 juillet 1881) et les réprime (jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende). Le Code pénal fait également du mobile raciste (donc, aussi, antisémite) d’un crime ou d’un délit une circonstance aggravante à l’article 132-76 du Code pénal.

En l’occurrence, Cyril Hanouna n’apporte pas de faits caractéristiques de telles provocations. Soit un téléspectateur est antisémite et se contente de changer de chaîne (on se demande pourquoi il ne l’a pas fait avant…) ; il s’agit bien d’un acte antisémite, mais cet acte est purement privé et personnel, et n’est pas répréhensible. Soit le même téléspectateur se lance dans une diatribe publique contre les Juifs en appelant à la discrimination, et il y a délit. En France, on donc a le droit d’être antisémite, raciste, homophobe, etc., tant qu’on n’exprime pas publiquement un propos de cette nature ou que l’on ne commet pas un acte (une injure, un refus de fournir un bien ou un service, etc.) fondé sur cette opinion.

Le boycott des sociétés dont C. Hanouna est actionnaire

Quant à boycotter les sociétés dont Cyril Hanouna serait actionnaire, c’est là encore en fonction de la manière dont l’appel au boycott est lancé. Cyril Hanouna étant une personnalité publique qui véhicule certaines opinions, il s’expose inévitablement à des courants hostiles. Boycotter au nom de positions pro-palestiniennes un personnage public en raison de ses supposées prises de positions pro-israéliennes, n’est pas plus répréhensible, juridiquement, que boycotter un réalisateur parce qu’il serait accusé de pédophilie.

Reste que, dans tous les cas, il faut bien le reconnaître, la limite entre appel au boycott “politique” et appel à la discrimination n’a rien d’évident. Tout est question de faits, et d’interprétation forcément subjective des mots employés et des moyens mis en œuvre pour appeler au boycott. Chaque fois, le juge pénal doit trancher, avec sa propre part de subjectivité…

Les Surligneurs n’ont pas réussi à joindre l’intéressé. 

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