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L'ancien Premier ministre japonais Yoshihide Suga reçoit le vaccin Pfizer contre le COVID-19. Image jaunie. 内閣官房内閣広報室 - CC BY 4.0

Covid-19 : Attention à ces données qui montreraient une surmortalité liée aux vaccins au Japon

Création : 28 juillet 2025
Dernière modification : 30 juillet 2025

Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II

Source : Compte Facebook, le 15 juillet 2025

L’affirmation repose sur les publications d’une association opposée aux vaccins à ARN messager. Ces données n’ont été validées par aucune revue scientifique et ne sont soutenues que par un unique chercheur. Et pour cause, la méthode utilisée est hautement discutable.

Comme une rengaine persistante, la désinformation autour de la pandémie du Covid-19 semble ne jamais vouloir s’éteindre — même en plein été. Cette fois, elle prend pour décor le Japon.

D’après de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, des « données choquantes » auraient récemment été révélées à l’Est de l’Asie. Elles porteraient sur « 21 millions de dossiers de vaccination publiés », censés démontrer « un pic de décès survenant entre 90 et 120 jours après la vaccination », avec des pics survenant plus tôt chez les personnes ayant reçu davantage de doses — suggérant une supposée toxicité cumulative.

Toujours selon ces publications, plus de 600 000 décès seraient imputables aux vaccins et seraient passés sous les radars des autorités japonaises. Ces données sont notamment soutenues par le professeur Yasufumi Murakami, de l’Université des sciences de Tokyo, régulièrement cité dans des publications scientifiques (ici, ici, ou ici). Mais peut-on réellement s’en contenter ? Pas tout à fait. Voici pourquoi.

Quelques graphiques… et rien de plus

Malgré la gravité des accusations, aucune étude ni publication scientifique rigoureuse n’étaye les affirmations relayées. Les données proviennent en réalité d’un groupe militant japonais baptisé STOP! mRNA Vaccines qui revendique environ 70 000 membres.

Deux présentations en ligne ont été diffusées par cette association : l’une en japonais (le 15 juin), l’autre en anglais (le 13 juillet). Elles se composent presque exclusivement de diapositives non sourcées, dont les données auraient été obtenues via des demandes d’accès à l’information adressées aux autorités japonaises. Or, aucune vérification indépendante de ces chiffres n’a été réalisée à ce jour.

Dans la version anglaise de la présentation, il est avancé qu’un pic de mortalité surviendrait 3 à 4 mois après la vaccination, un phénomène absent chez les non-vaccinés. Pourtant, la base de données utilisée par le groupe militant — indiquée dans la légende de la vidéo — note clairement qu’aucune « cause de décès ni lien avec les vaccins ne peut être établi » — une réserve que les présentateurs ont tout simplement ignorée.

Un correctif publié quelques jours plus tard précise d’ailleurs que la base de données ne porte finalement pas sur 18 millions de personnes vaccinées comme initialement affirmé, mais sur 18 millions de doses — un écart significatif. Mais au-delà de ces erreurs, la méthodologie utilisée par les anti-vaccins japonais sur leur site soulèvent des questions.

Des calculs peu crédibles

Les données utilisées par STOP! mRNA Vaccines permettent de créer un classement des lots de vaccins anti-Covid selon leur « taux de mortalité », calculé en divisant le nombre de décès survenus après l’injection par le nombre total d’injections pour chaque lot.

Mais cette méthode conduit à des résultats peu crédibles dès qu’on l’applique à de très petits nombres. Prenons l’exemple du lot FM8584, mis en avant avec un taux de mortalité de 41,67 %. Ce chiffre impressionnant provient de 5 décès recensés après 12 injections. Statistiquement, cela revient à tirer une conclusion sur la dangerosité d’un médicament… après une douzaine de tests.

Raisonnons par l’absurde. Si un lot est injecté à seulement deux personnes, dont une décède quelques jours plus tard d’un cancer avancé, le site afficherait alors un taux de mortalité de 50 %. Un tel résultat suggérerait un danger extrême – alors même qu’il s’agirait d’une coïncidence sans lien avec le vaccin.

C’est le même mécanisme qui est à l’œuvre ici : des petits nombres gonflent artificiellement les pourcentages, sans que le site indique clairement que ces chiffres n’ont aucune valeur interprétative sur le plan médical. L’approche est donc très éloignée des standards scientifiques habituels.

Contactés par Les Surligneurs, ni l’association ni le professeur Murakami ni la modératrice Masako Ganaha n’ont répondu à nos sollicitations.

Que sait-on réellement de la surmortalité au Japon ?

Une publication récente dans une revue scientifique japonaise (JMA Journal, avril 2025) apporte un éclairage. Elle confirme que le Japon a connu une surmortalité réelle en 2022 et 2023, mais précise que les causes restent à élucider.

Les auteurs mentionnent, parmi plusieurs hypothèses possibles, celle d’une éventuelle contribution des vaccins à ARNm. Toutefois, ils soulignent expressément que « la vérité reste à établir », en raison d’un manque de données et d’études suffisantes pour prouver un lien de causalité. L’article appelle à davantage de recherches indépendantes et adopte un ton de prudence scientifique, très éloigné des affirmations virales relayées sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, une étude indépendante publiée dans la revue britannique BMJ Public Health en avril 2025 a analysé les données de mortalité toutes causes confondues au Japon entre 2020 et 2023. Elle confirme un excès de décès en 2021, 2022 et 2023, mais n’en attribue nullement la cause à la vaccination.

Les auteurs identifient plusieurs facteurs explicatifs : le vieillissement rapide de la population japonaise, les effets indirects des restrictions sanitaires, des retards dans l’accès aux soins, ainsi que l’impact différé de la pandémie elle-même. Interrogé par Reuters, le principal auteur a précisé que leurs travaux « ne suggèrent en aucune manière une explosion de la mortalité chez les personnes vaccinées contre le Covid‑19 ».