Contrôle des écoles privées hors contrat : une liberté bientôt surveillée ?

Création : 8 mars 2018
Dernière modification : 17 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit

Le Sénat a adopté le 21 février dernier une proposition de loi « visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat ». Ce texte doit encore être voté par l’Assemblée nationale pour entrer en vigueur. Il pourrait mettre fin à la liberté qui régnait jusqu’à présent en matière d’ouverture d’écoles hors contrat.

Un régime actuel très libéral.

Les écoles hors contrat peuvent actuellement être créées aussi facilement qu’une association, par simple déclaration. L’État ne les subventionne aucunement. Elles se financent librement par les droits de scolarité acquittés par les parents d’élèves, par des donations, ou encore par des fonds étrangers. Cette liberté d’enseignement découle du strict respect de la Constitution, et spécifiquement des libertés d’opinion et d’expression (articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Les écoles hors contrat ne sont pas soumises au respect du programme scolaire et ne sont pas reconnues par l’État (elles ne délivrent aucun diplôme national). Cela signifie que les parents d’élèves qui estiment que les programmes officiels (auxquels sont astreintes les écoles publiques et privées sous contrat) ne conviennent pas à leurs enfants pour des raisons religieuses, philosophiques ou autres, peuvent choisir une école hors contrat, plus conforme à leurs convictions. Ils peuvent même l’ouvrir eux-mêmes et n’avoir que quelques élèves.

Des contrôles administratifs inefficaces.

Problème, certaines écoles hors contrat prodiguent des enseignements au mieux ineptes, au pire de nature à endoctriner les élèves et à compromettre leur insertion dans la société. Pour autant, il ne saurait être question de laisser les services académiques effectuer les mêmes contrôles que ceux qu’ils exercent sur les écoles publiques et privées sous contrat. Car précisément ces écoles ne sont pas sous contrat, et elles ne sont pas soumises aux mêmes obligations. Ainsi, l’article L. 241-4 du code de l’éducation prévoit que « l’inspection des établissements d’enseignement privés porte sur la moralité, l’hygiène, la salubrité (…). Elle ne peut porter sur l’enseignement que pour vérifier s’il n’est pas contraire à la morale, à la Constitution, aux lois et notamment à l’instruction obligatoire » (art L. 241-7 pour les établissements techniques). La crainte d’une censure est claire, ce qui ne signifie pas que ces écoles soient soustraites à tout contrôle.

Par une circulaire ministérielle de 2015 , la ministre de l’Éducation avait tenté de préciser les modalités et le contenu de ces contrôles. En particulier s’agissant des enseignements dispensés, ils ne doivent pas être contraires :

  1. aux lois, ce qui exclut par exemple tout enseignement incitant à la haine raciale ou à l’homophobie ; ce qui exclut également toute méthode d’enseignement contrevenant aux bonnes mœurs ou à la dignité des enfants.
  2. à l’ordre public, ce qui exclut toute violence à l’égard des élèves et toute incitation à la violence, mais ce qui exige également des conditions de sécurité des locaux et d’hygiène minimale.
  3. aux intérêts de l’enfant, ce qui vise les apprentissages « censurés », c’est-à-dire expurgés de pans entiers de l’histoire ou d’autres sciences.  Cela vise aussi les enseignements de nature à reclure l’enfant au cours de sa vie future (ex. apprentissages limités à la tenue du foyer pour les filles). Dans ce cas en effet, on peut estimer que « l’école » en question ne permet pas de remplir l’obligation scolaire légale jusqu’à 16 ans. D’autant que la loi oblige toute école à assurer aux enfants un « socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société » (C. éducation, art. L. 122-1-1). Cela inclut « l’acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d’autre part, l’éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique » (art. L. 131-1-1).

De plus, rappelons qu’en France, « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » (Code civil, art. 371-1). Les inspections académiques exercent donc déjà des contrôles sur les enseignements dispensés dans les écoles hors contrat, avec des moyens faibles il est vrai. Ces contrôles aboutissent parfois à des fermetures, par exemple une école catholique dans le Cher en juin 2017, ou encore une école coranique à Toulouse en décembre 2016. Mais ces fermetures se justifient le plus souvent par des délits de violence sur les enfants. Car il n’existe actuellement aucune base juridique solide pour ordonner la fermeture d’une école dont les programmes, sans être délictueux (ex. incitation à la haine raciale, à l’homophobie ou à la violence), ne seraient pas conformes aux valeurs de la République. Or c’est précisément dans les programmes que réside la liberté – constitutionnelle – de l’enseignement. Car lorsqu’une personne souhaite ouvrir une école hors contrat, c’est qu’elle rejette les programmes et méthodes officiels, ce qui est son droit. D’où la difficulté des contrôles. La loi pourra-t-elle, au nom du respect de l’ordre public et de l’intérêt de l’enfant, réduire la liberté des parents en la matière ?

Une première tentative en 2016 de soumettre les écoles hors contrat à contrôle.

La prolifération d’écoles ultra religieuses, ou spécialisées dans certains types d’apprentissages, explique les tentatives visant à renforcer les contrôles face à des méthodes jugées inefficaces et/ou nuisibles en termes d’apprentissage, ou face à des enseignements contraires aux valeurs de la République. La ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem avait déjà tenté de soumettre les écoles hors contrat à un contrôle renforcé des services académiques. Son texte de loi a été retoqué par le Conseil constitutionnel en 2016, car il ne précisait pas suffisamment les conditions de l’ouverture ou de fermeture d’une école hors contrat. Autrement dit, la loi laissait trop de marge d’appréciation aux inspections académiques pour autoriser une école ou la contraindre à fermer. Or en matière de libertés constitutionnelles comme celle de l’enseignement, le Parlement doit étroitement encadrer l’action de l’administration.

Une seconde tentative : un régime de déclaration sous réserve d’opposition.

Le texte actuel voté par le Sénat est plus tatillon et devrait soumettre l’ouverture d’une école hors contrat à des conditions et formalités renforcées.  Ces conditions concerneront d’abord celui ou celle qui la dirigera : exigence d’un casier judiciaire vierge (cette condition existait déjà), de la nationalité française ou européenne, d’une expérience ou de diplômes dans le domaine de l’enseignement, etc. De même, il est question de contrôler la personne même du directeur, afin de vérifier qu’il ne soit pas un prête-nom, agissant pour le compte de personnes non qualifiées ou déjà condamnées qui seraient les dirigeants réels. L’Assemblée nationale souhaite également renforcer le contrôle de la moralité et de la compétence des enseignants. Sur le fond, le projet d’école ne devra pas être contraire à l’ordre public ni aux lois de protection de la jeunesse, comme c’est déjà le cas également. Tout projet d’école devra être déclaré aux services académiques, qui transmettront au maire, au préfet et au procureur de la République. À charge pour chacune de ces autorités, le cas échéant, de « former opposition » dans les trois mois, en invoquant le non-respect des conditions d’ouverture posées par la loi. Si les conditions requises n’étaient plus remplies une fois l’école ouverte et fonctionnant, l’administration disposerait désormais d’une base juridique plus solide pour obtenir la fermeture.

Un contrôle sur les programmes ?

Ce qui est bien plus innovant dans le texte en cours de discussion, c’est que l’administration pourra s’opposer à une ouverture « s’il ressort du projet de l’établissement que celui-ci n’a pas le caractère d’un établissement scolaire ». Cette formule, si elle est maintenue telle quelle, fera probablement débat devant le Conseil constitutionnel : elle signifie à première vue qu’un projet d’école qui ne serait pas « scolaire » ne peut qu’être un projet d’école « d’autre chose » : une école d’apprentissage de la religion (école talmudique, séminaire, école coranique) ; une école sectaire ; mais aussi, pourquoi pas, une école « militaire » pour former des milices, comme il en existe aux États-Unis. Attention : les écoles d’apprentissage de la religion ne sont en rien illégales en France, contrairement aux écoles sectaires ou militaires. Mais ce ne sont pas des écoles au sens du code de l’Éducation, et elles ne peuvent pas donc remplacer l’école (publique ou privée), qui reste obligatoire jusqu’à 16 ans. En somme, elles n’assurent pas l’instruction publique, mais un enseignement complémentaire.

Une loi liberticide ?

Bruno Retailleau, sénateur (Les Républicains) vendéen, a pu exprimer la crainte qu’un contrôle renforcé sur toutes les écoles hors contrat ne finisse par « trop contraindre les (…) écoles (…) au prétexte de lutter contre la radicalisation islamiste ». Il ajoutait que si, pour lutter contre les dérives sectaires et radicales « on arrose trop large », on va « contraindre trop les autres écoles » (BFMTV, 22 février 2018). Il soulève à raison l’éternelle question de l’équilibre entre liberté et réglementation : est-ce que la soumission des écoles hors contrat à une déclaration plus documentée, avec un contrôle renforcé sur les programmes, et surtout une possibilité d’opposition des autorités administratives et judiciaires (procureur de la République) en raison de ces programmes, entravera la création de ces écoles et donc la liberté d’enseignement ?

Tout dépendra de l’équilibre que la loi créera entre le degré de contrôle des programmes face à la profusion d’écoles hors contrats dangereuses pour les enfants, et le respect de la liberté d’enseignement. Le Conseil constitutionnel devra probablement s’exprimer sur cet équilibre, qui doit permettre à la fois à l’administration de faire son travail de protection des élèves, et aux parents de dispenser à leurs enfants l’enseignement de leur choix.

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