Les Surligneurs est un média indépendant qui lutte contre la désinformation juridique.

rubriques

Condamnation de Nicolas Sarkozy : prison, recours, exécution provisoire, que va-t-il se passer ?

L'ancien président français Nicolas Sarkozy quitte le palais de justice de Paris après le verdict de son procès pour financement illégal de campagne depuis la Libye pour sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, le 25 septembre 2025. Photo de Julein De Rosa / AFP
Création : 25 septembre 2025

Auteur : Etienne Merle, journaliste 

Relecteurs : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Clara Robert-Motta, journaliste 

Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme pour association de malfaiteurs avec mandat de dépôt à effet différé assortie d’une exécution provisoire. Que signifie cette décision ? Va-t-il aller en prison malgré son appel ? Pour combien de temps ?

Historique. L’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme pour association de malfaiteurs, assortis d’un mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire, dans l’affaire des financements libyens. À cela s’ajoutent une amende de 100 000 euros, une interdiction d’exercer une fonction publique et une inéligibilité de cinq ans.

L’ancien chef de l’État est en revanche relaxé des chefs de recel de détournement de fonds publics (libyens), de financement illicite de campagne électorale et corruption passive.

Cette décision marque un tournant dans l’histoire politique française : malgré l’appel annoncé, Nicolas Sarkozy devrait être incarcéré dans les prochains jours ou les prochaines semaines, l’exécution provisoire neutralisant l’effet suspensif de l’appel. Seules des démarches exceptionnelles (motif médical grave par exemple) pourraient retarder cette mise à exécution.

Le jugement complet n’a pas encore été rendu public, et il faudra attendre sa publication pour en connaître la motivation précise. D’ici là, il est néanmoins possible d’expliquer les termes de la décision et leurs conséquences concrètes.

Nicolas Sarkozy s’adresse à la presse après le jugement. Photo : Alain Jocard / AFP

 

L’association de malfaiteurs, clé de la condamnation

L’association de malfaiteurs est une incrimination prévue à l’article 450-1 du code pénal. Elle punit la participation à un groupement qui prépare des infractions passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

Contrairement à la « bande organisée », il n’est pas nécessaire de prouver une structure hiérarchique ou un plan très détaillé. Il suffit de démontrer :

  • Une volonté de coopérer entre plusieurs personnes,
  • Et des actes matériels qui rendent cette volonté tangible (réunions, contacts avec des intermédiaires, flux financiers, préparation logistique).

C’est cette souplesse qui permet aux juges de sanctionner la préparation d’un financement occulte, même si aucune trace bancaire directe n’a été retrouvée.

Dans le dossier Sarkozy, le tribunal a considéré que la coordination avec des intermédiaires libyens, les flux d’espèces constatés et la chronologie concordante avec la campagne de 2007 suffisaient. Le délit existe dès lors que les juges estiment que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas ignorer l’entente, compte tenu de son rôle central et de sa proximité avec ses collaborateurs.

Le mandat de dépôt à effet différé : un emprisonnement programmé

Un mandat de dépôt classique signifie une incarcération immédiate : le condamné sort de la salle d’audience escorté par les gendarmes pour se rendre directement en prison.

Le mandat de dépôt à effet différé laisse un délai : le condamné reste libre à la fin de l’audience, puis est convoqué par le procureur dans un délai maximum d’un mois pour se voir indiquer la date de son incarcération.

Ce mécanisme est prévu depuis la loi du 23 mars 2019 pour organiser la logistique de l’incarcération (place disponible en prison, conditions de transfert, situation personnelle du condamné).

Le profil de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, éclaire sans doute la décision des juges : l’incarcération d’une telle figure politique suppose une organisation particulière et une préparation logistique conséquente.

Exécution provisoire : l’appel n’empêche pas l’incarcération

En principe, l’appel suspend la mise à exécution d’un mandat de dépôt. Mais l’exécution provisoire neutralise cette suspension.

Concrètement, Nicolas Sarkozy pourra faire appel de sa condamnation, mais quoiqu’il arrive, il devra se présenter à la convocation du parquet et se présenter à la prison dans les jours qui suivent. La procédure d’appel, qui durera sans doute plusieurs mois, n’empêchera donc pas l’incarcération.

La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé, en mai 2025, qu’un mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire est insusceptible de mainlevée, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être annulé.

En revanche, une fois incarcéré, Nicolas Sarkozy pourra déposer une demande de libération conditionnelle ou d’aménagement de peine, mais ces décisions relèvent du juge de l’application des peines et ne sont jamais automatiques.

Va-t-il vraiment aller en prison ?

Avec cette configuration, oui. Le mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire rend l’incarcération inévitable, sauf accident procédural rarissime ou décision de suspension pour raison médicale impérieuse.

Les arguments de la défense, qui invoquent l’absence de « preuve directe » d’un virement libyen, n’ont pas convaincu. Le tribunal a souligné « la gravité exceptionnelle » des faits, considérant que la préparation d’un financement étranger clandestin avait porté « atteinte à la confiance des citoyens dans les institutions ». Cette motivation justifie la sévérité de l’exécution immédiate.

Le président français Nicolas Sarkozy (à gauche) accueille le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, le 10 décembre 2007, à l’Élysée, à Paris. Photo : Eric Feferberg / AFP

 

Combien de temps restera-t-il derrière les barreaux ?

Le principe est simple : la peine prononcée est de cinq ans. Le mandat de dépôt organise la mise à exécution, mais il ne modifie pas la durée.

  • Aménagement ab initio : l’emprisonnement peut être aménagé dès l’audience (bracelet, semi-liberté) quand elles ne dépassent pas un an. Ce n’est pas le cas ici.
  • Réductions de peine : depuis la réforme de 2021, les réductions automatiques sont encadrées. Un condamné peut obtenir jusqu’à plusieurs mois de remise par an, à condition de respecter le règlement et de s’engager dans un projet d’insertion.
  • Libération conditionnelle : elle peut être envisagée en principe à la moitié de la peine (hors récidive), soit après deux ans et demi. Mais elle dépend de la décision du juge de l’application des peines, et n’est jamais automatique.

Pour autant, la durée de l’emprisonnement prononcée n’est pas figée : elle pourra varier si la cour d’appel décide d’une relaxe partielle ou totale, ou retient une peine plus courte. La condamnation de Nicolas Sarkozy n’est donc pas définitive à ce stade, même si l’exécution provisoire rend son incarcération effective dans l’attente du nouvel examen.

De la même manière, le délai peut varier si Nicolas Sarkozy obtient une demande de libération conditionnelle ou d’aménagement de peine après son incarcération. Il est ainsi beaucoup trop tôt pour estimer une quelconque durée d’incarcération.

Enfin, il existe une voie spécifique pour les personnes détenues âgées de plus de 70 ans. Elles peuvent demander une libération conditionnelle sans avoir à remplir le critère habituel de durée minimale de peine purgée.

Ce dispositif, introduit par la loi pénitentiaire de 2009, vise à éviter qu’une incarcération prolongée ne compromette leur santé ou leur dignité.

Pour autant, ce n’est pas automatique et seul le juge de l’application des peines, après avis de la commission d’application des peines, peut décider d’accorder cette libération conditionnelle.

L’appel : un second round décisif, mais pas suspensif

Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il souhaitait faire appel. Et il en a bien sûr le droit. La cour d’appel réexaminera intégralement l’affaire, sur la culpabilité et sur la peine. Elle pourrait confirmer, aggraver ou infirmer la décision.

Mais à court terme, cela ne change rien : le mandat de dépôt assorti de l’exécution provisoire reste exécutoire.

Et les peines complémentaires ?

L’inéligibilité de cinq ans et l’interdiction d’exercer une fonction publique prennent effet immédiatement, sauf annulation en appel. Elles marquent une sanction symbolique forte : la justice considère qu’un élu condamné ne peut prétendre représenter les citoyens pendant plusieurs années.