Christophe Beaugrand-Gerin, père d’enfants issus de GPA à l’étranger : “J’interdis à quiconque de dire que j’ai contourné la loi française, que je suis un délinquant”
Autrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé à l’Université de Caen
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : C dans l’air, 24 avril 2024
L’animateur a bien “contourné” la loi française, et pourtant il n’a commis aucune infraction. S’il est strictement prohibé de conclure de GPA en France, rien ne s’oppose à ce que des français concluent un tel contrat dans les pays où c’est autorisé, et à revenir en France avec l’enfant ainsi conçu.
Christophe Beaugrand-Gerin, journaliste et animateur, père d’enfants issus d’un contrat de gestation pour autrui conclu à l’étranger, affirmait dans l’émission C dans l’air qu’”Il n’est absolument pas illégal d’avoir recours à la #GPA dans un pays où c’est encadré. J’interdis à quiconque de dire que j’ai contourné la loi française, que je suis un délinquant, que mon enfant a été acheté à l’étranger”.
Or, l’animateur a bien “contourné” la loi française, mais il n’a commis aucune infraction. En effet, s’il est strictement prohibé de conclure un contrat de gestation pour autrui (GPA) en France, rien ne s’oppose juridiquement à ce que des français “contournent la loi française” en concluant un tel contrat dans un autre État autorisant la GPA (la Roumanie accepte par exemple le recours à la GPA rémunérée).
L’interdiction légale de la GPA en France, mais pas à l’étranger
L’illicéité des contrats de maternité de substitution (autrement dit contrats de GPA) a été affirmée dès 1991 par la jurisprudence française (Cour de cassation, 31 mai 1991). Les motifs de cette jurisprudence sont d’abord ce qu’on appelle l’indisponibilité du corps humain : il est impossible juridiquement de louer son utérus et de vendre l’enfant ainsi conçu. Ensuite, cette illicéité résulte de l’état des personnes : en droit français, la mère ne peut être que celle qui accouche).
Cette illicéité a ensuite été consacrée par les premières lois relatives à la bioéthique en 1994 (article 16-7 du Code civil désormais). Il est donc impossible de conclure un contrat de GPA en France. Une telle convention, si elle était malgré tout signée, serait nulle (c’est-à-dire considérée comme n’existant pas), car l’article 16-7 prime sur tout contrat privé (on parle de “règle d’ordre public” : article 16-9 du Code civil).
Cependant, rien n’interdit de conclure un contrat de maternité de substitution à l’étranger, bien que les juges se soient un temps opposés à faire produire des effets en France à de tels contrats.
GPA réalisée à l’étranger et état civil français : le refus de transcription
Afin d’éviter un tel “contournement de la loi française”, le juge a d’abord fermement refusé de faire produire des effets en France aux contrats de GPA conclus à l’étranger. Concrètement, cela signifie que les parents dits “d’intention”, c’est-à-dire ceux qui ont conclu le contrat de GPA à l’étranger avec la mère porteuse, ne pouvaient pas juridiquement faire établir le lien de filiation entre eux et l’enfant issu de cette GPA. Le recours à l’adoption a ainsi été refusé (Cour de cassation, 29 juin 1994), de même que l’établissement de la filiation par le jeu de la possession d’état (c’est-à-dire le fait pour une personne d’agir comme si elle était le parent de l’enfant. Il s’agit d’une sorte de ”filiation vécue” : Cour de cassation, 6 avr. 2011).
Bloqué de ce côté, le contentieux des GPA à l’étranger s’est rapidement déplacé vers la transcription de l’acte de naissance de l’enfant. À la naissance, les parents d’intention obtiennent un acte de naissance établissant le lien de filiation entre l’enfant et eux, puisque la GPA est légale dans le pays où ils ont conclu le contrat. Reste à faire “transcrire” cet acte de naissance étranger en France, autrement dit à l’intégrer dans l’état civil français.
Or, en France, la GPA étant interdite, la transcription n’était pas possible : un acte d’état civil doit en effet “correspondre à la réalité” (selon l’article 47 du Code civil), et le juge conçoit cette réalité selon un critère biologique (la mère est celle qui accouche). C’est pourquoi la transcription a été refusée à l’égard de la mère d’intention, puis des deux parents d’intention (Cour de cassation, 6 avril 2011). Le juge a même évoqué, à l’époque, la notion de “fraude à la loi française” (Cour de cassation, 13 sept. 2013).
La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme
Une telle position du juge français a été censurée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour non-respect du droit à la vie privée des enfants issus de GPA (CEDH 26 juin 2014, CEDH 21 juillet 2016, CEDH 19 janv. 2017). Elle a donc été abandonnée.
Depuis 2015, la jurisprudence française admet la transcription de l’acte de naissance concernant le père d’intention, lorsque celui-ci est le géniteur de l’enfant (Cour de cassation, 3 juillet 2015). La solution a rapidement été étendue à l’autre parent d’intention (Cour de cassation, 4 octobre 2019). Conséquence, une telle transcription intégrale de l’acte de naissance privait en pratique d’effectivité l’interdiction d’ordre public de la GPA en France.
La modification de la loi française
Afin d’éviter que cette interdiction ne devienne théorique, le législateur a entendu mettre un terme à cette transcription intégrale. Depuis la réforme bioéthique du 2 août 2021, l’article 47 du Code civil précise que la réalité “est appréciée au regard de la loi française”, ce qui ne devrait plus permettre la transcription de la filiation qu’à l’égard du père biologique, pas de la mère d’intention.
Cette dernière (ou le conjoint du père dans le cas d’un couple homosexuel) pourra tout de même établir son lien de filiation avec l’enfant par la voie de l’adoption.
En somme, Christophe Beaugrand-Gerin, qui a bénéficié de la jurisprudence française avant la modification législative de 2021, avait bien contourné la loi française, mais sans que le juge n’en tire de conséquences. La conclusion d’un contrat de GPA à l’étranger n’est donc pas illégale et produit valablement des effets juridiques en France.
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