Chants homophobes : pourquoi les matchs continuent malgré les consignes du ministre ?

Des banderoles affichant le message "Des fumis contre l'homophobie, on a le droit ?" brandies par des supporters marseillais, lors d'un match de football au stade Vélodrome à Marseille, le 1ᵉʳ septembre 2019. (Photo : Christophe Simon / AFP)
Création : 10 novembre 2024
Dernière modification : 13 novembre 2024

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Malgré les appels du gouvernement pour l’arrêt des matchs en cas de propos homophobes, aucune rencontre de Ligue 1 n’a encore été suspendue, soulevant des questions sur l’application des règlements. Alors, pourquoi l’État peine-t-il à imposer des sanctions face à ces comportements persistants dans les stades ?

Carton rouge contre l’homophobie ! Lors d’un match de Ligue 1, le 19 octobre 2024, des chants homophobes sont repris en chœur au Parc des Princes : Les Marseillais c’est des p***…”, pouvait-on entendre pendant de longues minutes.

Gil Avérous, le ministre des Sports, a demandé aux dirigeants du football français — la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP) — “d’appliquer strictement le protocole FIFA dès qu’il y a un chant homophobe” et d’arrêter tout match le cas échéant. Deux semaines plus tard, force est de constater qu’aucun match n’a été interrompu malgré des chants homophobes entendus dans plusieurs stades.

En 2019, déjà, l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu essayait de tacler l’homophobie hors des stades français. Sa demande d’interruption des matchs s’était néanmoins heurtée au refus de l’ancien président de la FFF, Noël Le Graët.

Alors, les instances sportives sont-elles plus fortes que leur ministère de tutelle ? Le ministre a-t-il des leviers pour imposer à la Ligue de football professionnel ou à la Fédération française de football l’arrêt des rencontres ou n’est-ce qu’un coup de com’ ?

Un ministre des Sports loin du banc de touche

Pour le savoir, arrêtons-nous un instant sur le cadre légal qui entoure les relations entre les fédérations sportives et l’État. Afin de pouvoir organiser des compétitions officielles et d’obtenir aussi des subventions publiques dans ce but, la FFF, comme toute autre fédération sportive, doit se voir accorder un agrément du ministère des Sports. Ce dernier est délivré entre autres à la condition que la fédération adopte un règlement disciplinaire et souscrive à un contrat d’engagement républicain

Ce contrat engage la fédération à veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, notamment en cas de violences sexistes et sexuelles. La conformité du règlement disciplinaire, quant à elle, est contrôlée par le ministre des Sports. 

La LFP, bien qu’elle ne bénéficie pas d’un agrément propre, en ce qu’elle agit sur  délégation de la FFF pour organiser les championnats professionnels (Ligue 1, Ligue 2), dépend indirectement du ministère des Sports via la FFF. 

Le ministre des Sports, en raison de cet agrément, dispose ainsi de prérogatives lui permettant d’agir indirectement sur ce qu’il se passe dans les stades. Il peut adresser à la FFF un courrier d’injonction si elle ne respecte pas la réglementation ou les engagements liés à son agrément.

Cette injonction peut même être verbale, si elle est suffisamment précise et inconditionnelle. En cas de refus d’obtempérer de la FFF, le ministre peut alors saisir le Conseil d’État afin de garantir le respect des textes. 

Au centre, le ministre français des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, Gil Averous. Photo Sameer Al-Doumy / AFP

 

Hormis cette saisine du Conseil d’Etat, le ministre peut également retirer l’agrément donné par l’État à une fédération sportive, comme l’indique l’article R131-10 du Code du sport, et ce, en cas de motifs graves tels qu’une “atteinte à l’ordre public ou la moralité” (article R131-9). 

Gil Avérous n’a cependant pas besoin d’aller aussi loin pour imposer l’arrêt des matchs en cas de chants homophobes, puisque les règlements de la FFF et de la LFP prévoient déjà un arrêt des matchs à titre de sanction disciplinaire.

En tout état de cause, l’autorité de police (le préfet) peut toujours interrompre un match en cas de trouble à l’ordre public, notamment des violences physiques ou verbales (chants homophobes en l’occurrence).

Des règles qui permettent déjà une défaite à titre de sanction 

Les articles du règlement de la Ligue de Football Professionnel prévoient la mise en place d’une telle mesure dans le championnat de France de Football. 

Ces articles permettent en effet à la Commission de Discipline de la LFP de déclarer un match “perdu par pénalité”, à titre de sanction disciplinaire (article 549 du règlement). 

Les règlements disciplinaires de la FFF ainsi que de la LFP définissent explicitement les comportements racistes et discriminatoires comme sanctionnables. Ils soulignent par ailleurs qu’un club est aussi responsable des faits commis par ses spectateurs et peut se voir infliger des sanctions disciplinaires en raison de leurs agissements. 

Autrement dit, le ministère des Sports ainsi que la FFF et la LFP disposent d’un arsenal juridique qui permet l’arrêt des matchs en cas de chants homophobes. Alors pourquoi ce règlement n’est-il pas appliqué ? 

Un match sans fin

La réponse ne se situe peut-être pas du point de vue du droit : “Si l’on est pragmatique et qu’on applique systématiquement l’arrêt des matchs en cas de chants homophobes, il n’y aurait plus de matchs”, reconnaît aux Surligneurs un cadre de la LFP qui souhaite préserver son anonymat.

Il faut dire que, derrière la demande choc du ministre, se cache un casse-tête… “Les arrêts de match, on l’a poussé en 2018, ça finit en eau de boudin, ça empire les réactions des supporters qui agissent par effet de groupe. Si l’on arrête un match, les supporters vont faire exprès d’arrêter tous les matchs”, met en garde Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble, qui travaille avec la LFP.

Illustration / Un match interrompu en raison d’affrontements en tribune lors du match OM-Galatasaray, à Marseille, en septembre 2021. Photo Nicolas Tucat / AFP

 

Paradoxalement, interrompre un match au nom de l’ordre public pourrait représenter un risque grave… de trouble à l’ordre public. “On envoie des dizaines de milliers de supporters frustrés et mécontents dans la rue. Cela nécessiterait un soutien des forces de l’ordre que l’on ne peut pas exercer chaque week-end”, estime l’historien du sport François Da Rocha Carneiro.

Outre les supporters, les clubs peuvent également être opposés à l’arrêt des matchs, en raison des conséquences financières importantes qu’ils entraînent : remboursement des places, perte de revenus pour les diffuseurs et perturbation des calendriers sportifs.

“Le match est un objet économique, à partir du moment où vous cassez un cycle de régularité, vous touchez à la gestion du calendrier, c’est un casse-tête d’organisation et de report, et cela a un véritable coût économique”, abonde Patrick Mignon, ancien sociologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance.

En d’autres termes, le pouvoir de nuisance des supporters peut être tel, que les autorités sportives semblent bien peu enclines à proposer des mesures radicales, par crainte de représailles tout aussi radicales.

Prévention ou interruption ?

Ainsi, selon les spécialistes interrogés, l’arrêt des matchs n’est pas la solution : “Ça ne règlera rien, c’est juste un coup médiatique”, dénonce l’historien François Da Rocha Carneiro, “il faut éduquer ! Bomber le torse et annoncer l’arrêt des matchs n’est qu’ajouter du virilisme au virilisme”.

Un avis partagé par Yoann Lemaire, qui défend plutôt un dialogue avec les supporters : “Il faut lutter intelligemment et faire un travail de longue haleine pour sensibiliser les supporters. Il faut apprendre la culture du supporter et en discuter longtemps avec eux”, estime-t-il.

Une solution qui semble être partagée par la LFP qui met en avant ses actions de lutte contre l’homophobie : ateliers de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, sensibilisation des joueurs, du management et des supporters ou encore l’organisation de journées dédiées à la lutte contre les discriminations.

L’ancien attaquant du Paris Saint-Germain, Kylian Mbappé, portant un maillot aux couleurs de l’arc-en-ciel, le 16 mai 2021, afin de sensibiliser à la lutte contre l’homophobie. Photo : Franck Fife / AFP

 

Des mesures que certaines associations de lutte contre les LGBT+phobies estiment insuffisantes. Le collectif « Rouge Direct » et l’association Stop Homophobie ont porté plainte contre la LFP et le diffuseur de la Ligue 1, la chaîne DAZN, le 28 octobre pour “injures et incitations à la haine homophobes”, rapportent nos confrères du Figaro.

Quelques jours plus tard, « Rouge Direct » s’est à nouveau attaqué à la LFP par communiqué : “La lutte contre l’homophobie n’existe pas dans le football français. La LFP, qui agit pourtant par délégation de service public, défie ouvertement son autorité de tutelle, le ministre des Sports”.

De Roxana Maracineanu en 2019, à Gil Avérous aujourd’hui, l’homophobie dans le milieu du ballon rond français persiste et seuls changent les noms des ministres des Sports. Preuve sans doute de la gêne autour de ce sujet, ni le ministère des Sports ni la Fédération française de football n’ont répondu à nos sollicitations.

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