Ici, le brouillard de guerre n’est pas qu’une simple expression. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes de la galaxie prorusse ont partagé une vidéo sur laquelle on distingue plusieurs camions militaires expulser une épaisse fumée blanche.

« Sur le front près de Belogorovka, un brouillard étrange a avalé tout un convoi russe. Ce n’était pas la météo — mais une fumée d’aérosol tactique, version 2.0 des vieilles ruses de guerre. Résultat : Les drones FPV ukrainiens aveuglés », décrit une publication reprise sur des dizaines de comptes, le 20 octobre 2025.

S’il n’est pas exclu que les militaires russes aient utilisé cette technique en octobre 2025, la vidéo, elle, date d’il y a plus de quatre ans et montrait un simple exercice. 

Un exercice dans la région Volgograd en 2021

La première occurrence de la vidéo que Les Surligneurs ont retrouvée date du 27 juillet 2021 sur le compte Youtube du ministère russe de la Défense. Autrement dit, la vidéo a été tournée avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.

Le ministère de la Défense russe précise que cette vidéo a été tournée sur le terrain d’entraînement de Prudboy, dans la région de Volgograd, au sud de Moscou. « Des spécialistes des troupes de protection NBC [une branche de l’armée chargée de la défense radiologique, chimique et biologique, ndlr] du district militaire sud ont recouvert une zone de concentration de troupes d’un écran de fumée lors d’un exercice », est-il écrit en description. 

Il y est aussi précisé que ces engins spéciaux TDA-3 de dernière génération sont basés sur des camions KamAZ et ont créé un « nuage blanc couvrant une zone d’environ trois kilomètres carrés ».

Dans la vidéo, on peut lire la plaque d’immatriculation sur un des véhicules qui confirme qu’il s’agit d’un camion de l’armée russe (plaque noire). Le camion est siglé de l’inscription « ИНПРОКОМ » (« Inprocom » en russe), qui est le constructeur de ces engins générateurs de fumées TDA-3, dont ce catalogue d’armements précise qu’ils sont en vente depuis 2017.

Capture d’écran Youtube et détail.

D’après les vidéos promotionnelles, les TDA-3 diffusent des « mélanges de fumée et de la poudre de camouflage infrarouge sous forme d’aérosol pour protéger les personnes, l’équipement et les installations arrière importantes » ou bien « pulvérisent des solutions insecticides ».

« C’est un dispositif très classique de défense de diffuser des écrans fumigènes pour aveugler ou perturber l’attaquant en se dissimulant. Ce n’est ni une innovation ni un procédé dépassé », confirme Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française.

« Ce procédé est utilisé depuis quasiment les débuts de la guerre, développe Rémy Hémez, officier de l’armée de terre. On pouvait, par exemple, brûler du foin pour produire une épaisse fumée et s’y dissimuler. »

Aujourd’hui, on observe une recrudescence de vidéos confirmant le recours à cette technique, notamment en Ukraine, comme en témoigne Rémy Hémez. « Cette utilisation s’inscrit dans une transparence accrue du champ de bataille. Avec la multiplication des capteurs – comme les drones qui retransmettent des vidéos en direct et les satellites – on voit l’adversaire beaucoup plus facilement et le laps de temps entre le moment de détection et le moment de la frappe s’est réduit. »

D’où la dispersion de fumigènes pour ne pas être vu et assurer sa survie. Selon l’officier de l’armée de terre, l’armée russe, attachée à la technique du camouflage, a gardé une capacité de production massive de fumigènes. 

Réutilisation de cette vidéo dans d’autres conflits et complots

Depuis sa diffusion en 2021, la vidéo a été détournée dans de nombreux contextes. Par exemple, pendant la période Covid, elle a été partagée par des internautes assurant qu’elle montrait des véhicules « propageant la nouvelle vague de coronavirus », comme l’a rapporté l’association de fact-checking Mimikama. Le clip a également servi à alimenter les fausses théories liées aux « chemtrails », comme l’a débunké le média géorgien MythDetector.

La vidéo a bien sûr été réutilisée dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne, où il est avéré que l’armée recourt à ce procédé de pulvérisation. Mais elle l’a aussi été dans d’autres conflits sans lien. Par exemple, un compte en khmer affirmait, à l’été 2025, qu’il s’agissait de « thaïlandais » qui « pulvérisaient beaucoup de poison ». 

Ainsi, s’il n’est pas exclu que les Russes aient utilisé ce procédé récemment pour bloquer les drones ukrainiens, cette vidéo, elle, ne le montre pas.

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