Cette étude sur les températures élevées de la Terre il y a plusieurs millions d’années ne remet pas en cause le réchauffement climatique
Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris
Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Compte X, le 26 juin 2025
Une étude scientifique est instrumentalisée par des internautes pour nier l’existence du réchauffement climatique actuel. Les résultats de ces recherches montrent pourtant bien les dangers de la variation rapide des températures.
« Il n’a jamais fait aussi froid sur Terre. » À en croire une publication X partagée plus de 500 fois, les températures à la surface de la planète bleue n’ont jamais été aussi basses qu’à notre époque. L’auteur du post, connu pour relayer régulièrement de la désinformation, accuse les « escrocs du climat » qui font « croire à longueur de journée » que des « records de températures sont battus ».
Avancé comme source, un article du Washington Post corroborerait ces propos, repris ensuite sur d’autres réseaux sociaux francophones (ici ou là). Le quotidien étatsunien s’appuie sur une étude, publiée dans le journal Science le 20 septembre 2024, visant à retracer les températures terrestres sur les 485 millions d’années précédentes. Les résultats démontrent que sur cette période, la température terrestre moyenne a été, par moments, effectivement bien plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Mais les internautes sortent cette information de son contexte pour remettre en cause l’existence du réchauffement climatique et ses dangers, alors même que l’article du Washington Post, comme l’étude parue dans Science, mettent justement en garde contre les risques de la hausse subite des températures actuelles, causée par l’activité humaine.
D’anciennes températures extrêmes…
L’étude relayée par le Washington Post démontre que la Terre a, par moment, connu des périodes de chaleurs extrêmes, avec des températures moyennes qui dépassent de très loin celles que nous connaissons aujourd’hui. Mais la surface du globe a aussi été très froide par le passé. Ainsi, les auteurs expliquent que « la température [moyenne calculée sur des intervalles allant de dizaines de milliers à des millions d’années, selon la précision des données, ndlr] a varié entre 11°C et 36°C au cours des derniers 485 millions d’années ».
Pour rappel, la température moyenne mondiale en 2023 était de 14,98°C. Autrement dit, il a déjà fait plus froid sur Terre que dans l’ère actuelle. Qui plus est, la Terre a même déjà été « entièrement glacée il y a près de 700 millions d’années », explique Gerhard Krinner, directeur de recherche CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble.
Mais que dire du pic de chaleur écrasant de 36°C présenté dans l’étude qui aurait eu lieu durant le Turonien (entre 93,9 à 89,39 millions d’années) ? Serait-ce la preuve que les « escrocs du climat » mentent lorsqu’ils disent que des records de chaleur sont battus de nos jours ? L’année 2023 avait été présentée comme « l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde » selon les données du programme européen Copernicus. En réalité, toute la nuance réside dans le mot « enregistré ». Car il s’agit de « l’année la plus chaude depuis 1850 », rectifie Gerhard Krinner. « C’est à partir de ce moment-là que les relevés disponibles sont suffisamment précis » pour quantifier la température exacte année par année, explique le scientifique.
De fait, 2023 n’est effectivement pas l’année la plus chaude depuis la formation de la Terre il y a plus de quatre milliards d’années. Mais cela n’invalide en rien l’existence du réchauffement climatique contemporain ni les preuves de ses origines humaines.
…qui n’adoucissent pas la réalité du réchauffement actuel
En matière de climat, l’échelle de temps choisie influence la perception des données. Par exemple, au cours des 100 000 dernières années, « il n’a jamais fait aussi chaud sur Terre sur une période centennale » que sur le dernier siècle qui vient de s’écouler, précise Gerhard Krinner.
« L’argument récurrent des climatosceptiques est de dire que le climat a toujours varié, ce qui est vrai », reconnaît le géologue. L’étude relayée par les internautes montre, par exemple, que sur les 100 derniers millions d’années, la température globale est passée d’environ 30°C à un peu moins de 15°C.
Mais Gerhard Krinner met en garde contre les interprétations fallacieuses qui sont faites de ces chiffres : « Une baisse de 15°C en 100 millions d’années équivaut à 15 millionièmes de degrés en moins tous les 100 ans », explique-t-il. Rien à voir avec l’échelle du réchauffement actuelle, qui est de l’ordre d’un degré en à peine 100 ans, depuis la fameuse date de début des relevés en 1850.
C’est donc la vitesse à laquelle se produit le réchauffement climatique actuel qui est inquiétante. L’un des graphiques de l’étude illustre, de manière explicite, une corrélation claire entre les cinq épisodes d’extinctions majeurs de l’histoire de la vie sur Terre et des changements brutaux de température, qu’il s’agisse d’une hausse ou d’une baisse. La disparition des dinosaures, par exemple, est associée à un refroidissement de l’atmosphère.
« Il y a 100 millions d’années, quand la Terre était 15°C plus chauds qu’aujourd’hui, c’était une autre planète », resitue Gerhard Krinner. À cette période, le Crétacé supérieur (-100 à -66 millions d’années), le niveau des mers était 200 à 300 mètres au-dessus du niveau de 2023 et l’atmosphère contenait cinq fois plus de CO2. « Si un réchauffement de 15°C se produisait de nos jours, ce serait une hécatombe incroyable pour la vie telle que nous la connaissons », avertit le chercheur.
Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il a déjà fait plus chaud sur Terre qu’aujourd’hui qu’il faut laisser le mercure s’emballer, au risque de bouleverser les écosystèmes. Selon le GIEC, l’augmentation, déjà acquise, d’un degré de la température mondiale par rapport au niveau préindustriel a provoqué l’élévation du niveau de la mer et a augmenté la fréquence des événements climatiques extrêmes.
Dans un monde à +3 degrés en 2100, soit la trajectoire jugée la plus probable par le GIEC, le risque d’extinction des espèces endémiques aux zones riches en biodiversité, déjà très haut, sera multiplié par dix. Les dégâts causés par les inondations seront jusqu’à quatre fois plus importants que si le réchauffement est contenu à +1,5 degré. Ce à quoi il faut ajouter la multiplication et l’intensification des épisodes de sécheresse, le risque d’effondrement des biomes marins et l’accélération de la fonte des glaces.