Censure du gouvernement Barnier : que peut faire Emmanuel Macron ?
Dernière modification : 6 décembre 2024
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Démission, auto-dissolution, recours à l’article 16… les scénarios se multiplient après le renversement du gouvernement de Michel Barnier. Les Surligneurs font le point sur les pistes constitutionnelles qu’Emmanuel Macron pourrait envisager.
Ce mercredi 4 décembre, le gouvernement de Michel Barnier a été renversé par une motion de censure, après l’engagement de sa responsabilité pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Et ce, conformément à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.
En réaction à ce renversement, le second sous la Ve République après celui du gouvernement Pompidou en 1962 (en application, à l’époque, de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution), le président de la République s’exprimera devant les Français ce soir, à 20 heures.
On ignore pour l’heure le contenu de son allocution, mais tout semble permis, après que la dernière ait servi à annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Quelles seraient alors les pistes constitutionnelles envisagées ou envisageables après ce coup de tonnerre institutionnel ?
La recherche d’un nouveau Premier ministre
La première hypothèse, la plus probable, serait celle de la recherche d’un nouveau Premier ministre pour former un gouvernement. Retour à la case départ de cet été, Emmanuel Macron va devoir trouver un candidat qui puisse s’appuyer sur une majorité dans une Assemblée nationale tripartite. Ou du moins, ne pas être renversé par elle.
À noter que l’article 8 de la Constitution, selon lequel le locataire de l’Élysée nomme celui de Matignon, n’impose pas de règle particulière dans la nomination. Emmanuel Macron pourrait très bien renommer Michel Barnier.
Pour l’anecdote, après le renversement du gouvernement de Georges Pompidou en 1962, le président Charles de Gaulle le nomma de nouveau, soutenu par une majorité renouvelée de gaullistes à la suite d’élections législatives.
Une démission du président de la République
C’était l’une des demandes de La France insoumise et du Rassemblement national en cas de censure du gouvernement : Emmanuel Macron, architecte de la dissolution de juin dernier, mettrait fin à son mandat présidentiel.
Juridiquement rien ne l’interdit, sauf à considérer qu’en démissionnant le président de la République porterait atteinte au « fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » dont il est le garant (article 5 de la Constitution).
La conséquence immédiate de cette décision serait la convocation d’une élection présidentielle anticipée. Élection à laquelle ne pourrait pas se présenter Emmanuel Macron, qui a déjà été élu deux fois de manière consécutive, comme Les Surligneurs ont pu le rappeler en juin dernier.
Le Conseil constitutionnel fixerait ces nouvelles élections dans les vingt à trente-cinq jours après la démission, sauf « cas de force majeure ».
Pendant la période de vacance de la magistrature suprême, l’intérim serait assuré par le président du Sénat, en l’occurrence Gérard Larcher.
Un seul président a démissionné sous la Ve République, ce fut Charles de Gaulle en 1969, après l’échec d’un référendum.
Pour autant, cela ne changerait rien à la formation de l’Assemblée nationale qui resterait divisée en trois blocs, aucune dissolution ne pouvant être décidée avant le 7 juillet 2025.
L’activation de l’article 16
Une piste un peu moins probable serait le recours à l’article 16 de la Constitution, donnant ainsi, temporairement, les pleins pouvoirs au président de la République.
Deux conditions cumulatives à cette redoutable arme constitutionnelle : « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate », et « que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ».
Si ces conditions ne sont pas réunies et que le Président recourt quand même à l’article 16, il violerait la Constitution.
Après consultation du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée et du Sénat, et dans le but de débloquer les institutions et le fonctionnement des pouvoirs publics, le Président pourrait légiférer à la place du Parlement. Au-delà de trente jours d’exercice, le Conseil, saisi par le Parlement, examinerait si les conditions sont toujours réunies.
La seule sanction que peut encourir le Président s’il outrepasse le cadre de ce pouvoir serait l’annulation de ses ordonnances, qui relèvent du domaine réglementaire, par le Conseil d’État (décision du Conseil d’État du 23 octobre 1964).
Une sanction plus forte serait sa destitution par le Parlement réuni en Haute Cour.
L’hypothèse de l’auto-dissolution
Enfin, mention honorable à la piste hautement improbable de l’auto-dissolution de l’Assemblée nationale, lancée par le député EPR Stéphane Vojetta.
Si le Président ne peut dissoudre la chambre basse du Parlement avant l’été prochain, cela n’empêche pas les députés de décider unanimement de démissionner, provoquant 577 nouvelles élections législatives.
Cette hypothèse n’est pas prévue par les textes constitutionnels, mais rien n’interdit aux députés de démissionner de leur mandat.
Le problème institutionnel étant celui d’une Assemblée sans majorité, cette solution pourrait être la meilleure sur le plan des institutions. Mais soyons réalistes, voir les 577 députés se mettre d’accord pour démissionner comme un seul homme et remettre en jeu leur mandat relève d’une politique fiction que les scénaristes les plus audacieux n’oseraient imaginer.
Quelle que soit la décision prise par le chef de l’État, et elle n’est peut-être pas parmi celles présentées ci-dessus, elle interviendra dans un contexte constitutionnel inédit et pour le moins incertain.
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