Brexit et élections européennes : que faire des sièges des députés du Royaume-Uni ?

Création : 16 février 2018
Dernière modification : 2 mai 2022

Auteur : Didier Blanc, professeur de droit public, Université de La Réunion

Quel que soit le degré de réalisation du Brexit en 2019, il n’y aura pas de candidats britanniques aux prochaines élections européennes. Telle est la signification de la résolution du Parlement européen du 7 février 2018 sur la composition du Parlement européen. Jusqu’alors, les questions institutionnelles n’ont guère soulevé de difficultés dans les négociations entre l’Union et le Royaume-Uni, hormis dans leurs dimensions transitoires et s’agissant de l’éclairage porté au déménagement d’agences de l’Union situées au Royaume-Uni. Comme à la boxe, les négociations, qualifiées de rounds, ont débouché sur un premier accord, le 8 décembre 2017, sorte de bréviaire pour le Brexit, vierge de toute référence à la situation du Parlement européen. Pourtant, de toute évidence, les 73 sièges attribués au Royaume-Uni vont être prochainement vacants, et personne n’imagine qu’à la faveur des élections européennes du printemps 2019 des listes de candidats britanniques soient présentées.

Une opportunité pour améliorer la représentativité du Parlement européen

Le nombre de sièges au Parlement européen est déterminé pour chaque Etat membre conformément à l’article 14 TUE de manière « dégressivement proportionnelle », ce qui occasionne des déséquilibres importants entre les Etats les plus peuplés et les moins peuplés. Ce calcul s’opère suivant deux contraintes : premièrement, un seuil minimal de 6 sièges par État membre et maximal de 96 sièges ; deuxièmement, le nombre total ne doit pas dépasser 750, plus le président. Ce système est à l’origine d’importants déséquilibres ; le ratio député/nombre d’électeurs varie de 1 à 12, de sorte que le caractère véritablement représentatif du Parlement européen a pu être discuté. C’est pourquoi le Parlement a décidé qu’à la faveur de la recomposition née du Brexit « il est essentiel de parvenir à une représentation plus égale en vue d’améliorer la légitimité du Parlement européen ».

La nouvelle répartition envisagée

Ainsi, le Parlement européen propose de consacrer 27 des sièges libérés à une nouvelle répartition entre États membres. Schématiquement trois groupes d’Etats membres en découleraient : celui le plus important formé de ceux conservant un nombre identique de sièges (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chypre, Grèce, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Hongrie, Malte, Portugal, Slovénie et République Tchèque) ; ceux bénéficiant d’un siège supplémentaire (Autriche, Croatie Danemark, Estonie, Finlande, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Suède) et enfin ceux bénéficiant de plus d’un siège supplémentaire, 3 pour l’Italie et les Pays-Bas, 5 pour la France et l’Espagne. L’Irlande obtiendrait 2 sièges de plus, ce qui la met dans une position unique et singulière au regard du Brexit : en effet, le Parlement européen rappelle que les citoyens d’Irlande du Nord disposent d’un droit naturel à la nationalité irlandaise et donc à la citoyenneté européenne.

En profiter pour anticiper des élargissements de l’Union européenne

Une autre contrainte impose de geler une partie des 73 sièges devenus vacants en prévision des prochains élargissements de l’Union européenne. C’est une condition indispensable au maintien du plafond de 750 fixé par le traité et au maintien du nombre de sièges pour les actuels Etats membres. La Commission a récemment estimé que moyennant « une forte volonté politique, la mise en place de réformes réelles et résolues et le règlement de différends avec leurs voisins (le Monténégro et la Serbie), pourraient être prêts à adhérer à l’horizon 2025 ». Dans cette perspective, 46 sièges sur 73 seraient gelés. Ajoutons que ces chiffres restent des hypothèses de travail posées par le Parlement.

Les pistes écartées

La perspective de listes transnationales s’affrontant dans une circonscription commune évoquée par le Président de la République à Athènes le 8 septembre 2017 est venue ajouter de la complexité au sort réservé aux 73 sièges britanniques. Rappelons qu’il s’agit là une ancienne revendication du Parlement européen désireux ainsi de dépasser les clivages nationaux. L’idée repose sur une circonscription commune aux États membres, ce qui renouvellerait largement les termes du débat relatif à sa composition. Cette possibilité simplement mentionnée par la résolution de janvier 2018, s’inscrit dans le champ plus large d’une modification générale des modalités de scrutin telle que dessinée par une résolution de 2015 sur la réforme de la loi électorale de l’Union. Cette hypothèse a fait l’objet d’un rejet le 8 février par la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen.

Une décision finale qui revient au Conseil européen

Pour terminer rappelons que la position du Parlement européen s’adresse à la communauté des chefs d’Etat ou de gouvernement qui se réunira pour en décider au sein du Conseil européen les 28 et 29 juin prochains. La position du Parlement ne lie pas le Conseil européen. Pour autant, il est probable que le Conseil européen avalise certaines demandes du Parlement et choisisse de réserver certains sièges en vue de l’élargissement en direction des Balkans occidentaux ainsi que de revoir les contingents nationaux de députés européens.

Conclusion : le Brexit est devenu la porte d’accès à une meilleure connaissance de l’Union !

L’espace séparant le vice de la vertu est sujet aux variations au point que l’un se substitue parfois à l’autre, voire comme il l’est rappelé dans Tartuffe, ceux à la mode peuvent passer pour vertu. Précisément, la grande vertu du Brexit est de permettre une radioscopie de l’ensemble de la construction européenne dont elle dévoile les profonds ressorts au-delà du cénacle habituel des spécialistes de la chose. Cela donne tantôt, le Brexit et la citoyenneté européenne, le Brexit et le marché intérieur, le Brexit et l’Union douanière, le Brexit et les finances de l’Union etc. Il s’en faut de peu pour que des diplômes de brexologie n’atteignent bientôt à la dignité académique, tant il est vrai que les experts ne manqueront pas pour les décerner.

Ainsi, rarement la sagesse populaire exprimée par l’adage « À quelque chose malheur est bon » n’aura trouvé si bel écrin. On ne dira jamais assez ce que doit le regain de l’intérêt pour les études européennes au Brexit, pour le meilleur comme pour le pire, tant il nourrit une veine éditoriale, dépassant allègrement le champ universitaire, soutenue par une abondance de sites, d’observatoires en tout genre, de comités et de commissions dont la seule raison d’être est l’analyse (quasiment) au jour le jour du délitement d’une relation vieille de 45 ans. L’auteur de ces lignes y cède à son tour, toujours depuis Tartuffe, chacun peut éprouver les délices mêlés du vice et de la vertu. Il reste que l’entreprise est frappée d’emblée de péremption, tant les vérités d’aujourd’hui sont assurées de ne pas être celles de demain au terme d’un long processus de retrait dont le caractère inédit défie toute prévision : le Cygne noir a encore frappé (Nassim Nicholas Taleb, The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable, Random House, 2010, édition augmentée ; pour l’édition française : Les Belles lettres, 2012) !

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