Benjamin Lucas (député EELV) : la sanction disciplinaire contre Thomas Portes est “une atteinte à la liberté d’expression »

Création : 20 février 2023

Auteur : Louis Lesigne, master de droit public et études parlementaires, Aix-Marseille Université et Université du Luxembourg 

Relecteurs : Jean-Pierre Camby et Jean-Paul Markus, professeurs de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : BFMTV, 11 février 2023

L’immunité dont les parlementaires jouissent leur garantit une liberté d’expression renforcée mais limitée au sein COMME en dehors de l’hémicycle.

À la suite d’une photo postée sur Twitter dans laquelle il posait, le pied sur un ballon à l’effigie de la tête du ministre Olivier Dussopt, et après en avoir joué en séance publique, le député LFI Thomas Portes a été sanctionné par l’Assemblée nationale : une “censure avec exclusion temporaire” de quinze jours. 

Le député EELV Benjamin Lucas a dénoncé cette sanction d’“atteinte à la liberté d’expression”. Si les parlementaires jouissent d’une immunité qui leur garantit notamment une liberté d’expression renforcée, cette liberté n’est pas sans limites : ils peuvent  être sanctionnés par leurs pairs pour des actes commis dans ou hors de l’hémicycle.

Lors de la séance du 10 février 2023, le député Thomas Portes devait prendre la parole. La chose s’est avérée beaucoup plus difficile que prévue. Alors que son tweet était toujours en ligne, les rappels au règlement se sont enchaînés. De nombreux orateurs ont demandé la sanction du député. Face à l’impossibilité de poursuivre le débat sur la réforme des retraites, le Bureau de l’Assemblée s’est réuni et a décidé de proposer la censure avec exclusion temporaire. Cette sanction a été adoptée à une large majorité. Ce n’est pas pour son tweet que l’élu a été sanctionné par ses pairs, mais pour avoir persisté à ne pas présenter d’excuses et avoir commis ce qui ressemble à un excès de désinvolture en séance publique.

Qu’est-ce qu’une “censure avec exclusion temporaire”, infligée au député Thomas Portes ?

La censure avec exclusion temporaire est la quatrième et dernière des sanctions prévues par l’article 71 du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN). C’est la plus lourde et la plus rarement infligée. Lorsqu’elle est prononcée, elle entraîne l’exclusion du député pour les quinze journées de séance qui suivent, ainsi que la privation de la moitié de l’indemnité parlementaire pour deux mois. L’exclusion est doublée en cas de récidive (art. 73 du RAN). 

Cette sanction est proposée par le Bureau de l’Assemblée, après audition du député visé. Il revient ensuite à l’ensemble des députés de s’exprimer sur cette proposition par un vote qui se fait par assis et levé, une procédure particulière par laquelle les députés votent en se levant, ou en restant assis. Ce vote n’est pas précédé d’un débat.

La liberté d’expression des parlementaires n’exclut pas une discipline interne à chaque assemblée

La liberté d’expression dont jouissent les députés est liée à leur statut. Les parlementaires ne peuvent en principe être poursuivis en justice sauf si leur assemblée lève leur immunité (principe d’inviolabilité), et ils n’ont pas non plus à rendre compte de leurs propos et actes (principe d’irresponsabilité).

La discipline est interne à chaque assemblée. Elle permet de maintenir l’ordre parmi les élus sans recourir à une autorité extérieure, car cela constituerait une entrave à l’indépendance du Parlement. Ainsi, la liberté d’expression est bornée par les parlementaires eux-mêmes, collectivement, afin de préserver l’institution et son image, tout comme la courtoisie des débats. 

La discipline parlementaire est aussi valable hors l’hémicycle

Le Règlement de l’Assemblée (art. 70) énonce sept cas dans lesquels un député peut être sanctionné. Ils ne concernent pas seulement les propos et actes commis au sein de l’assemblée, mais tout ce qui est dit ou fait en tant que député, y compris en dehors. Lorsqu’il a posé avec un ballon au pied à l’effigie d’un membre du gouvernement en portant l’écharpe tricolore, il agissait en tant que député. Lorsqu’il postait la photo sur son compte Twitter d’élu, c’était un député qui communiquait. Plus encore, c’est dans l’hémicycle que le ministre, la présidente de l’Assemblée nationale puis de nombreux députés ont exigé des excuses auxquelles il s’est refusé. 

Le comportement de Thomas Portes pouvait être qualifié de plusieurs manières au vu du RAN. Pour certains députés, il s’agissait de ”provocations […] envers les membres du Gouvernement”. Pour d’autres, il s’agissait “d’outrage ou de provocation envers l’Assemblée”.

Ce sont les “provocations envers l’Assemblée nationale” qu’a retenu le Bureau de l’Assemblée contre Thomas Portes, plus précisément sa persistance à maintenir un tweet qu’une majorité de députés considère comme scandaleux – et peut-être l’attitude de l’intéressé face à la réprobation de ses pairs. Il est vrai qu’un député de la majorité avait aussi provoqué une vive polémique à l’Assemblée par un tweet visant Louis Boyard. Aucune sanction n’a été prise contre lui après que l’auteur ait supprimé sa publication et présenté des excuses acceptées par le destinataire.

Cela précisé, il n’appartient pas aux Surligneurs de juger du degré de sévérité de la sanction. L’assemblée est souveraine dans cet exercice d’autodiscipline.

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