Greenbox, CC 4.0

Benjamin Lucas (député écologiste) : “je propose de faire péage gratuit en taxant les superprofits des compagnies autoroutières”

Création : 16 juillet 2024

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférences HDR en droit public à l’Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Compte X de Benjamin Lucas, 10 juillet 2024

Rendre les péages gratuits suppose de rompre les contrats de concessions actuels avec les sociétés autoroutières, ce qui coûtera un “pognon de dingue” pour les indemniser…

Interrogé par RMC, Benjamin Lucas, député Écologiste, propose de “faire péage gratuit en taxant les superprofits des compagnies autoroutières“. Si nous n’avons pas d’avis à faire valoir sur l’objectif, la méthode interpelle juridiquement et relève du non-sens.

L’État est lié par contrat aux compagnies autoroutières

Les compagnies autoroutières et l’État sont liés par un contrat appelé “concession”, au terme duquel les premières prennent en charge la construction et l’entretien d’une autoroute (ou seulement l’entretien si l’autoroute existe déjà), moyennant une rémunération par l’usager, à savoir l’automobiliste qui s’arrête au péage pour verser ce qu’on appelle en droit une “redevance”. Parce que l’investissement de départ est important pour les compagnies, la durée du contrat peut être longue (parfois jusqu’à trente ans), afin d’assurer à la compagnie autoroutière un retour sur investissement.

Actuellement, toutes les autoroutes payantes de France sont exploitées selon ce régime, avec un contrat de concession en cours. “Faire péage gratuit” implique donc soit de rompre le contrat, soit d’en revoir les clauses. Et comme tout contrat fait loi entre les parties, les compagnies autoroutières ne pourront pas s’opposer à cette décision, mais elles auront droit à indemnisation de leur manque à gagner par l’État.

On a déjà vu des exemples avec la rupture du contrat entre l’État et Ecomouv’ à la suite du mouvement des “bonnets rouges” en Bretagne : après l’abandon d’une taxe sur les poids lourds devant être perçue automatiquement grâce à des portiques installés par Ecomouv’, cette société a dû être indemnisée.

Donc “faire péage gratuit” c’est possible, mais il y aura un coût énorme pour l’État, car on change alors de modèle économique : c’est le contribuable – et non plus l’automobiliste – qui indemnisera les compagnies autoroutières puis qui payera les autoroutes, même s’il n’a pas de voiture.

Superprofits taxés et gratuité en même temps ?

À ce stade du raisonnement nous sommes perplexes : instaurer la gratuité des autoroutes mettrait fin aux superprofits des compagnies autoroutières, et même au contrat lui-même avec l’État. Donc il n’y aurait plus rien à taxer. Benjamin Lucas a-t-il fait allusion aux profits passés qu’il faudrait taxer ? Là encore, deux obstacles : d’abord, un impôt ne peut être rétroactif que sur l’année en cours. Seraient donc visés les seuls profits réalisés en 2024. Ensuite, il y a encore le contrat de concession. Ce serait trop facile pour l’État de conclure un contrat avec les sociétés autoroutières selon un équilibre économique négocié, puis de rompre cet équilibre en contournant le contrat par la fiscalité. C’est entre autres ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans un avis du 8 juin 2023.

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