Bardella-Moretti 2/2 : Dupond-Moretti répond que la perpétuité réelle existe déjà dans le code pénal
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte X d'Eric Dupond-Moretti, 12 février 2024
Non, la perpétuité réelle telle que réclamée par le Rassemblement National, irrévocable, n’existe pas dans le droit français.
Alors que Jordan Bardella, président du RN, se disait défavorable au retour de la peine capitale, il a dans le même temps avancé l’idée d’une “perpétuité réelle” dans le droit français. Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, lui a répondu que la “perpétuité réelle” existait déjà dans le Code pénal, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Ce surlignage est le second de la polémique Bardella-Moretti sur la perpétuité réelle. Le premier volet est à lire ici.
Ce qu’entend le RN par “perpétuité réelle”
Jordan Bardella entend par “perpétuité réelle” la possibilité pour le juge de décider, au moment où il prononce la peine, que le condamné ne pourra jamais sortir de prison, quoi qu’il arrive. C’est la “determinate life sentence” prévue par le droit fédéral américain, qui exclut toute libération anticipée dès le prononcé de la peine. Cela correspond donc en quelque sorte à une certitude de la perpétuité, dès que que la peine est prononcée, sans espoir de sortie quoi qu’il arrive, sauf “les pieds devant”. Cette perpétuité réelle n’existe pas dans le Code pénal français.
Cette “perpétuité réelle” n’existe pas en France
Eric Dupond-Moretti joue sur les mots lorsqu’ils renvoie Jordan Bardella dans sa surface : il affirme à raison qu’en droit français, une cour d’assises peut décider que le condamné ne bénéficiera d’aucune libération conditionnelle, d’aucune suspension de peine (article 132-23 du Code pénal), ni d’aucun autre aménagement, pour certains crimes parmi les plus graves (article 421-7) comme les crimes terroristes ou les meurtres de mineurs de moins de quinze ans (article 221-3) accompagnés d’actes de viol, de barbarie ou de torture (article 221-4). C’est vrai.
Mais il existe une sérieuse réserve : cette perpétuité-là est limitée dans le temps, sous forme de “peine de sûreté” déterminée de trente ans. Le juge peut prononcer une peine de sûreté perpétuelle, mais qui toutefois peut être levée par un tribunal après trente ans. Cela signifie que même en cas de peine de sûreté perpétuelle, le condamné a le droit de demander le relèvement de la période de sûreté après trente ans (article 720-4 du Code de procédure pénale). Ce relèvement après trente ans peut être refusé par le tribunal d’application des peines, et s’il est accepté, le reclus pourra bénéficier d’un aménagement de peine, comme une libération conditionnelle. Si, lorsque la période de sûreté prend fin, rien n’assure le condamné d’obtenir un aménagement de peine, il ne s’agit pas d’une perpétuité réelle au sens où l’entend Jordan Bardella, à savoir un emprisonnement à vie irrévocable.
Une perpétuité potentielle…
Sachant que la perpétuité réelle à l’américaine telle que la réclame le Rassemblement National n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme (comme nous l’avons expliqué en surlignant Jordan Bardella), la libération d’une personne condamnée à perpétuité avec peine de sûreté n’est pas pour autant systématique. Pour pouvoir sortir de prison, le condamné doit d’abord demander le “relèvement de la période de sûreté”, c’est-à-dire mettre fin par anticipation à cette période. Si cette mesure lui est accordée, le condamné pourra ensuite obtenir du juge d’application des peines soit une remise de peine, comme une libération conditionnelle.
Aucune juridiction française ne peut prononcer de perpétuité réelle sans qu’une mesure de relèvement ne soit possible à terme. Pour autant, ces deux étapes de sortie de prison sont si difficiles à obtenir qu’une condamnation à perpétuité peut avoir les effets d’une perpétuité réelle. Autant de précisions qu’Eric Dupond-Moretti élude…
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