Ballons chinois abattus par les autorités américaines : une question d’altitude
Dernière modification : 16 février 2023
Auteur : Raphaël Costa, doctorant en droit international à l’Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications (IDEST), Université Paris-Saclay, avec la participation de Juliette Bezat, journaliste
Relecteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international
Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc
En l’espace de dix jours, un ballon et plusieurs « ovnis » chinois survolant le territoire américain ont été abattus par les autorités. Une internaute affirme qu’en prenant la décision d’abattre le premier ballon le 4 février, les États-Unis auraient créé un précédent puisque le droit international ne différencie pas le ballon du satellite. C’est faux : les deux « objets » évoluent dans des espaces différents qui ne sont pas soumis aux mêmes régimes juridiques.
Le 4 février, une internaute affirmait sur Twitter : « Juridiquement, en droit international, en quoi le ballon [chinois] diffère-t-il du satellite ? Les États-Unis ont créé un précédent. Non seulement la Chine, mais aussi la Russie [peuvent] avoir maintenant l’occasion et le droit d’abattre des satellites américains survolant leurs territoires. » Or, les traités internationaux ne distinguent pas le droit applicable à ces deux engins selon leur nature mais selon l’altitude à laquelle ils évoluent. Les américains ne créent donc pas de « précédent » et cette action est légale. Explications.
Ballons et satellite : une question d’altitude
Tout d’abord, les deux objets n’évoluent pas dans les mêmes espaces : un satellite, même en orbite basse, évolue dans l’espace dit extra-atmosphérique, généralement entre 2000 et 3000 km d’altitude, alors qu’un ballon « météorologique » (mais aussi la plupart des aéronefs, etc.) évolue généralement à une altitude de 6 à 12 km.
Selon le Traité de l’espace de 1967 (signé et ratifié par plus de 110 États, parmi lesquels toutes les puissances spatiales), l’espace extra-atmosphérique est libre d’utilisation par tous les États (art.1), y compris pour les utilisations militaires, à condition que celles-ci ne soient pas agressives et qu’aucune arme de destruction massive ne soit placée en orbite (art.4). Ainsi, il est tout à fait possible de survoler un État et de l’observer depuis l’espace extra-atmosphérique qui commence à environ 100 km d’altitude (l’espace extra-atmosphérique est donc plus près de Paris que Limoges !). Enfin, il est interdit d’abattre un satellite étranger et espion s’il respecte les conditions évoquées.
Dans le cas qui nous intéresse, les ballons évoluaient à une altitude située entre 6 et 20 km, et par conséquent, dans l’espace aérien des États-Unis et du Canada. Ils ne relèvent donc pas du droit spatial mais du droit aérien.
Tout appareil qui traverse l’espace aérien d’un Etat sans son accord en viole la souveraineté
Les États sont souverains sur leurs territoires terrestre, maritime mais aussi aérien (art. 1 de la Convention de Chicago de 1944). Leur espace aérien est constitué par la couche de 100 km de hauteur surplombant leur territoire terrestre et maritime. Par conséquent, tout appareil (aéronef, ballon météo, etc.) qui traverse l’espace aérien d’un État sans son accord viole sa souveraineté. Dès lors, aucun précédent n’est créé par les Américains puisque ce qui distingue le ballon d’un satellite, juridiquement, est l’altitude à laquelle il évolue. Ici, l’altitude est capitale car elle permet d’identifier le régime juridique applicable.
Comment la limite entre les espaces aérien et extra-atmosphérique est-elle définie dans les traités internationaux ?
Les traités internationaux ne définissent pas strictement la limite entre les deux espaces. Néanmoins, lorsque deux régimes juridiques sont opposés, les règles d’interprétation des traités renvoient au langage et aux définitions usuels des termes. Dès lors, on estime que l’espace commence à partir de 100 km d’altitude. L’absence de définition claire peut être problématique lorsque des activités se déroulent dans un périmètre proche des 100 kilomètres : il est alors plus difficile de déterminer le régime juridique applicable. C’est le cas pour des vols suborbitaux de tourisme spatial, par exemple.
Mais tel n’est pas le cas des ballons chinois qui, localisés bien en dessous des 100 kilomètres d’altitude, se trouvaient clairement dans l’espace aérien américain. Par ailleurs, la majorité des avions de ligne volant entre 5 et 12 kilomètres d’altitude, le Pentagone a pu invoquer un risque pour l’aviation civile et abattre certains ballons, peu importe leur fonction.
Reste que la souveraineté des États doit nécessairement être limitée en altitude. L’écrivain Arthur C. Clarke, scénariste du film réalisé par Stanley Kubrick, 2001 : L’Odyssée de l’espace, faisait écho aux débats qui avaient agité les diplomaties en pleine guerre froide dans les années 50, dans un essai datant de 1968, que si les États pouvaient revendiquer des droits sans limites d’altitude au-dessus de leurs territoires, vu que ceux-ci sont situés sur une planète en rotation sur elle-même et autour du Soleil, en seulement 24 heures, n’importe quel État pourrait s’estimer légitime à revendiquer et s’approprier n’importe quelle zone de la galaxie…
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