Pierre-Yves Beaudouin, CC 3.0

Aymeric Caron (député LFI) à propos de la réintégration d’Adrien Quatennens : on “peut passer à autre chose une fois qu’une peine a été purgée”

Création : 14 avril 2023
Dernière modification : 4 juin 2023

Autrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani

Source : BFMTV, 11 avril 2003

Aymeric Caron porte une idée évidemment conforme au droit selon laquelle toute personne ayant purgé sa peine doit pouvoir revenir à une vie normale. Reste qu’Adrien Quatennens n’a pas purgé sa peine : il est sous délai d’épreuve pour cinq ans. Sa réintégration immédiate dans le groupe LFI l’aidera donc à ne pas réitérer sa faute jusqu’à ce que sa peine soit réellement purgée… en 2027.

Pour comprendre l’erreur, rappelons les faits : le 13 décembre 2022, Adrien Quatennens était reconnu coupable de violences conjugales par le tribunal judiciaire de Lille et condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis. Le 11 avril 2023, le groupe LFI a voté en faveur du retour du député du Nord au sein de l’Assemblée Nationale. C’est cette décision, très contestée par de nombreux députés, que soutient Aymeric Caron sur BFMTV, ajoutant que lorsque la “peine a été purgée”, on peut alors “passer à autre chose”, et “réintégrer la vie active, en principe”. Or, non seulement Adrien Quatennens n’a pas purgé sa peine, mais Aymeric Caron laisse entendre qu’il a été réhabilité, ce qui est également faux.

Sollicité par les Surligneurs, Aymeric Caron a souhaité apporter la précision suivante: son propos relatif au fait qu’une fois sa peine purgée, un condamné doit pouvoir réintégrer la vie professionnelle ne concernait pas spécifiquement le cas d’Adrien Quatennens mais bien toutes les personnes condamnées. Il s’agissait donc de souligner la nécessité de permettre après la condamnation un retour à la vie professionnelle afin de favoriser la réinsertion.

Adrien Quatennens est condamné à une peine avec sursis : il n’a pas purgé sa peine

Le député a été condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis. Le sursis signifie que la peine prononcée n’est pas exécutée et que si le condamné ne commet pas de nouvelles infractions dans un certain délai, dit délai d’épreuve, la peine sera considérée comme purgée, c’est-à-dire que la condamnation sera dite non avenue. Le sursis est une mesure favorable au condamné car celui-ci n’exécute pas sa peine, ce qui est censé l’inciter à rentrer dans le droit chemin car s’il commet une autre infraction durant le délai d’épreuve, il devra bien effectuer sa peine de quatre mois. Le délai d’épreuve est de cinq ans pour les délits tels que les violences conjugales. 

Par conséquent, si l’on veut être précis juridiquement, la peine d’Adrien Quatennens prononcée en décembre 2022 n’est pas encore purgée puisqu’il se trouve dans le délai d’épreuve, qui durera jusqu’en décembre 2027. C’est uniquement à l’issue de ce délai de cinq ans, que la peine sera réellement purgée sous certaines conditions.

Adrien Quatennens n’a pas été réhabilité

La réhabilitation a pour effet d’effacer la condamnation ce qui favorise la réinsertion de la personne condamnée (puisque la peine ne figure plus dans le casier judiciaire). Elle est prévue par la loi, s’opère automatiquement et suppose que la personne n’ait pas fait l’objet d’une nouvelle condamnation dans un certain délai après la fin de sa peine. Dans le cas d’Adrien Quatennens, le délai pour obtenir une réhabilitation légale est de cinq ans. Ce délai de réhabilitation commence à courir à compter de la fin du délai d’épreuve, soit en 2027. La réhabilitation légale ne pourra donc intervenir qu’à partir de 2032. Une réhabilitation judiciaire est également envisageable dans un délai de trois ans pour les délits. Cette réhabilitation suppose de prouver des gages importants de réinsertion. 

Adrien Quatennens n’est donc pas non plus réhabilité puisqu’il ne remplit pas encore les conditions de délai. Par conséquent, quand Aymeric Caron affirme que son collègue doit pouvoir retourner à sa vie professionnelle antérieure, il faut le comprendre comme une mesure destinée à soutenir la réinsertion d’un député condamné, démarche louable et qui ne repose que sur la volonté du groupe politique auquel il appartient et non sur une réhabilitation au sens du droit.

Le condamné Quatennens et le condamné lamba : deux poids, deux mesures ?

Cela étant dit, on comprend bien l’idée générale du propos d’Aymeric Caron : une personne dont la peine est purgée devrait, “en principe” comme il le répète à deux reprises, pouvoir retrouver sa vie active, et on ne peut que partager cette opinion en droit. En effet, une fois sa peine purgée, la personne condamnée a “payé sa dette envers la société” et doit donc pouvoir obtenir un emploi ou une formation. Or, ce principe, qui s’applique à un député comme à toute autre personne, n’est guère effectif pour les nombreux autres condamnés et en particulier ceux qui ont été incarcérés. Les difficultés pour trouver ou retrouver un emploi après un emprisonnement sont immenses pour les personnes condamnées, et le cas d’Adrien Quatennens devrait inciter ceux qui défendent son retour à l’Assemblée Nationale à réfléchir aux outils à mettre en place pour favoriser la même facilité de retour à l’emploi pour tous les autres condamnés qui ne sont pas, eux, députés. 


Ajout de la réponse d’Aymeric Caron le 18 avril 2023

Suppression du dernier paragraphe, le 30 mai 2023, en raison de la mise en conformité avec l’article 2. 2. K du Code européen de fact-checking : « Pour cela, une visite des députés en centre de détention, comme leur statut les y autorise (Cf. une note du ministre de la justice à cet effet) ainsi qu’un échange avec des personnes détenues serait certainement très profitable pour faire évoluer la loi et à tout le moins les mentalités. Des membres des Surligneurs enseignent dans certains centres pénitentiaires, et connaissent plusieurs détenus qui aimeraient avoir l’avis de nos députés à ce sujet, notamment Pierre 1, Pierre 2, Maxime, François, Gilles, David et Coco. »

Précision le 5 juin 2023, en raison de la mise en conformité avec l’article 3. 1. F du Code européen de fact-checking :
l’experte juridique de cet article est une professeure de droit qui co-enseigne le droit aux des détenus en maison d’arrêt avec l’aide d’étudiants dans le cadre de ses activités académiques. L’objectif de cette activité est de faciliter la réinsertion et d’informer les détenus – qui sont des citoyens – au droit. Ce projet est totalement indépendant du travail des Surligneurs.

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