Procès de l’attentat du quartier de l’Opéra : Abdoul Anaiev condamné à dix ans d’emprisonnement
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Le 12 mai 2018, un jeune Français d’origine tchétchène avait poignardé un homme à mort et gravement blessé plusieurs autres dans les rues de Paris, avant d’être abattu. Cinq ans après, la cour a jugé que son meilleur ami l’avait “influencé idéologiquement”.
De son adolescence strasbourgeoise à l’ouverture de son procès au Palais de justice de Paris, la trajectoire d’Abdoul Akim Anaiev aura été marquée de rendez-vous manqués. Depuis le 25 octobre, derrière de hauts panneaux en bois vernis, la Cour d’assise spécialement composée revient sur l’attaque au couteau perpétrée par son meilleur ami, Khamzat Azimov, un Français d’origine tchétchène qui avait tué un passant et blessé sept autres personnes dans les rues de Paris le 18 mai 2018, avant d’être abattu. Anaiev, fiché S pour radicalisation depuis juin 2016, est lui dans le box des accusés pour « association de malfaiteurs terroristes » (article 421-2-1 du code pénal), soupçonné d’avoir exercé une influence idéologique qui aurait « conditionné l’assaillant ».
Devant les jurés, sa mère, une petite femme tirée à quatre épingles, vêtue de noir et blanc, un carré court poivre et sel parfaitement brossé, explique d’une voix à peine audible qu’elle ne s’est pas inquiétée. Lorsque son fils, décrit au tribunal par l’enquêtrice de personnalité comme un « bon élève, timide, ayant très peu d’amis », décroche de ses études quand il arrive au lycée Marie Curie de Strasbourg, jusqu’à échouer au bac. Qu’elle n’a pas vu, qu’il était absorbé par des vidéos de propagande de l’État islamique. Qu’elle n’a pas voulu comprendre, le parallèle qu’il commençait à faire entre « la cause syrienne » et celle de la Tchétchénie, cette république constitutive de la Fédération de Russie, nichée au nord des montagnes caucasiennes, aujourd’hui dirigée par Ramzan Kadyrov et dont est issue la famille.
L’ombre de la Tchétchénie et des questions en suspens
À la suite de la dislocation de l’URSS en 1991, une première guerre éclate entre la Russie et la Tchétchénie, qui proclame son indépendance. Un accord de paix est signé en 1997, mais certains chefs de guerre réclament l’instauration d’un caucase islamiste. Plusieurs attentats sont perpétrés sur le territoire russe, un prétexte que le pays prend pour intervenir. Grozny, la capitale de la Tchétchénie, est bombardée, et des violences de masse sont perpétrées par l’armée russe. En 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « condamne, comme totalement inacceptable, la conduite d’opérations militaires en Tchétchénie, avec ses conséquences tragiques pour de nombreux civils de cette république » qui « viole de manière très grave les droits fondamentaux de civils tchétchènes non belligérants et innocents » dans une recommandation 1444. Abdoul Akim Anaiev est alors un enfant de trois ans. « Il a été témoin de plein de choses », confie sa mère, avant de poursuivre : « Il a assisté à des “nettoyages”, c’était ça notre quotidien. Les images restent, alors que je pensais les avoir oubliées ».
« Oublier », c’est visiblement ce que son mari et elle ont décidé de faire en arrivant en France en 2003 en tant que réfugiés politiques, après être passés par l’Autriche, où leurs enfants sont d’abord scolarisés. « Je voulais à tout prix apprendre le français. Je ne voulais plus être tchétchène, je voulais oublier ma culture, tout », se remémore-elle avec émotion. Face à l’amnésie ou au mutisme de ses parents, les questions que le fils aîné se pose sur son histoire et sur la condition des tchétchènes resteront sans réponse. « J’ai voulu évoquer avec ma famille les images de la Syrie, qui me rappelaient la Tchétchénie. Mais ils n’étaient pas émus comme moi. Il était hors de question d’en parler », raconte Abdoul Anaiev, devant le micro placé dans l’interstice de son box.
« Comment on passe de Tchétchène persécuté par les Russes, à s’estimer persécuté par la France ? », demande le Président. « Ce sont des jeunes déracinés qui ne connaissent pas leur culture », tente la mère.
Peut-être a-t-il trouvé ses certitudes du côté de son grand-oncle, Zelimkhan Iandarbiev, président par intérim de la République tchétchène entre 1996 et 1997, devenu proche d’Al-Qaïda. Une dérive qui lui vaudra d’être inscrit sur les listes d’Interpol et du Conseil de sécurité des Nations unies, jusqu’à sa mort dans une explosion, le 13 février 2004.
« Personne ne savait comment faire »
Abdoul Akim Anaiev adhère bientôt à l’idéologie de l’État islamique, dont il apprécie « le côté valorisant, les valeurs guerrières ». En 2016, dans le plus grand secret, il se marie religieusement avec Ines H., une jeune femme tunisienne qu’il n’a rencontrée que virtuellement, et qu’il ne verra qu’une fois, en 2017, avant qu’elle ne parte pour la Syrie. Une union qu’il célèbre avec son ami le plus proche, Khamzat Azimov, qui vit un temps avec la famille.
Ce dernier était-il sous son influence ? Lequel des deux a-t-il entraîné l’autre ? Anaiev, jugé pour le rôle qu’il aurait pu avoir dans la radicalisation et le passage à l’acte de son ami, un crime passible de trente ans de réclusion criminelle s’il venait à être caractérisé, dit « regretter » que celui-ci ne soit « pas là pour répondre de cet acte abominable », dont il se désolidarise complètement. « C’est vrai que j’ai parlé de djihad. Mais cet homme, en mettant des coups de couteau dans le dos, n’a rien d’un martyr ».
« Je porte cette charge, d’être une mère dont le fils sera jugé pour des actes en lien avec le terrorisme », confie sa mère. « J’ai cherché “radicalisation” sur internet à l’époque. Je voyais ce qui se passait, mais personne ne savait comment faire ». À la barre, elle en appelle cependant à « l’intégrité des avocats des parties civiles » pour faire la distinction entre « la personne dans le box, et celui qui a commis l’acte ». Derrière la vitre en plexiglas, Abdoul Akim Anaiev fixe ses pieds, tête baissée.
Hors les murs aussi
L’institution judiciaire, elle, n’a pas compris, pas vu venir l’engouement pour ce procès ni l’importance que les parties civiles, les médias et les curieux lui accorderaient cinq ans plus tard, quelques jours après l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard et la commémoration des trois ans de l’attentat perpetré contre Samuel Paty. Le procès a commencé dans la salle Myriam Ezratti, l’une des plus petites du bâtiment. Certaines parties civiles, parents de victimes et associations restent à la porte, « faute de place ». La presse, elle, doit jouer aux chaises musicales pour couvrir le procès : aucun emplacement ne lui est réservé. « Y’a un live-tweet de l’audience ? », s’inquiète-on. « Le live-tweet, c’est moi » indique une journaliste de France Inter, pourtant bloquée derrière les portiques de sécurité. « Non seulement on a oublié cet attentat, mais en plus tout le monde va oublier le procès », lâche un journaliste du Monde spécialisé dans les questions de terrorisme, dans le couloir lui-aussi. Même situation pour les chaînes d’information en continu.
À l’intérieur, un enquêteur revient sur la funeste progression de Khamzat Azimov, comme un « mort vivant » ou un « robot » dans les rues de Paris, ce soir de mai 2018. Le « déchaînement de coups portés », les pronostics vitaux engagés, « l’urgence absolue ». Les victimes racontent le traumatisme, les sueurs nocturnes et les souvenirs dont « on ne peut pas se défaire ». Abdoul Akim Anaiev, d’apparence repenti, dit souhaiter « ne pas continuer à gâcher cette vie », après de nombreuses années dans la guerre, l’exil et la prison, à seulement 26 ans.
Ce 31 octobre, les cinq magistrats professionnels semblent l’avoir entendu : il passera dix ans derrière les barreaux, tandis qu’ils en risquait trente.
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