Attention, cette image ne montre pas la crucifixion d’un chrétien syrien
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Compte Twitter, le 10 mars 2025 (attention, contenu sensible)
Partagé aux quatre coins de la toile, un cliché est censé prouver que des crucifixions ont eu lieu en Syrie dans le cadre des récentes tueries qui ont touché les populations alaouites. Il s’agit en réalité d’une capture d’une vidéo datant de 2015 qui montre la mise à mort d’un chef rebelle syrien.
Avertissement contenu sensible : les liens de cet article renvoient vers des images ou vidéos montrant l’exécution violente d’une personne par arme à feu.
L’image est douloureuse. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes partagent un cliché sur lequel on aperçoit un homme crucifié. Derrière lui, une personne masquée pointe un fusil sur sa nuque, signe de son exécution imminente.
Selon plusieurs utilisateurs, cette scène dépeint la mise à mort d’un chrétien en Syrie. La rumeur est alimentée par certains sites qui, le 10 mars 2025, affirment que des minorités, dont des chrétiens, ont été « massacrées ces dernières heures », au moment où des combats font rage dans la région de Lattaquié, bastion du président déchu Bachar al-Assad.
Du 6 au 10 mars 2025, les forces de sécurité syriennes ont mené dans cette zone une offensive contre les fidèles du précédent régime. La minorité musulmane alaouite qui y réside a été victime de tueries : 1 557 civils ont été exécutés ou tués au cours de ces opérations « principalement en raison de leur appartenance confessionnelle », selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
La scène de crucifixion relayée par les internautes aurait-elle pu se produire à cette occasion ? En réalité, cette image, quoique prise en Syrie, est issue d’une vidéo datant de 2015. Grâce à une recherche d’image inversée, on en trouve la trace sur la plateforme de partage de vidéos iranienne Aparat en 2017, ainsi que sur un blog la même année.
L’exécution d’un chef rebelle syrien
La vidéo montre bien l’exécution par arme à feu d’une personne crucifiée. Mais une voix diffusée par haut-parleurs indique que cet événement a lieu le 1er septembre 2015, affirme le site de fact-checking jordanien Fatabyyano. Le nom de la victime est affiché sur un écriteau situé en arrière-plan : Abu Ali Khabiya, l’une des figures de la coalition rebelle Jaïch al-Oumma, alors opposée au régime de Bachar al-Assad.
Une simple requête sur un moteur de recherche renvoie vers plusieurs articles de presse qui corroborent les faits. « Jaïch al-Islam a exécuté, le 1er septembre 2015, Abu Ali Khabiya, l’ancien commandant des Brigades des martyrs de Douma [une organisation alors affiliée à l’Armée syrienne libre, ndlr] », écrit le média syrien Enab Baladi, qui situe le lieu de la mise à mort dans la Ghouta orientale, à l’est de Damas.
L’exécution d’Abu Ali Khabiya signe la défaite de Jaïch al-Oumma dans la lutte qui l’oppose alors à Jaïch al-Islam, un groupe rebelle rival, comme l’explique une note de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Les deux acteurs de ce conflit sont d’obédience musulmane. Il est donc faux d’affirmer que les images de la crucifixion qui circulent sur les réseaux sociaux montrent le meurtre d’un chrétien.
Les alaouites sont ciblés par les massacres
La diffusion de cette fausse information intervient au moment où certaines voix affirment que les chrétiens syriens ont été la cible de massacres dans l’ouest de la Syrie, au même titre que les alaouites, comme le prétendent l’ancien Premier ministre, François Fillon, et l’influenceur britannique d’extrême-droite Peter Sweden.
En réalité, si plusieurs chrétiens ont effectivement trouvé la mort dans les combats dans l’ouest de la Syrie, la communauté religieuse n’est pas la cible d’attaques délibérées, d’après un fact-check de nos confrères des Observateurs de France 24. La minorité alaouite reste, de loin, celle qui a subi le plus de pertes.
« Dire que les chrétiens sont victimes du gouvernement n’est pas correct et ce serait les mettre en danger », a déclaré l’archevêque syrien-catholique de Homs, Monseigneur Jacques Mourad, au journal La Croix, le 10 mars 2025.
Le ministère de la Défense syrien a annoncé le 10 mars, à la suite d’un tollé international, la fin des opérations militaires dans les régions de Lattaquié et Tartus. Le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, a assuré que les personnes s’étant rendues coupables « d’avoir versé le sang de civils ou qui ont outrepassé les pouvoirs de l’État » seraient « tenues responsables ».