Attention à cette infox sur un supposé « escadron de la mort » dirigé par Emmanuel Macron
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte Facebook, le 20 mai 2025
Des publications sur les réseaux sociaux accusent Emmanuel Macron d’avoir constitué une « armée secrète de tueurs à gages » pour éliminer ses opposants. Cette allégation, bien que spectaculaire, repose sur des sources très discutables et s’inscrit dans une stratégie de désinformation identifiée.
Plusieurs publications sur Facebook ont récemment relayé de graves accusations visant Emmanuel Macron. Ce dernier aurait mis en place « une brigade secrète de 40 à 50 assassins professionnels, pour éliminer ses opposants : journalistes, politiques, militants », affirme notamment l’une des publications.
Ces accusations s’appuient principalement sur une « enquête » de la « Fondation pour la lutte contre l’injustice » — en anglais, Foundation to Battle Injustice (FBI), un nom susceptible de prêter à confusion.
Sur son site Internet, peu d’informations sont disponibles pour comprendre l’activité de la Fondation et tenter de mesurer le sérieux de son travail. Pas d’onglet dédié à ses missions et à son histoire sinon quelques indications sur la page d’accueil.
La Fondation pour la lutte contre l’injustice est « une organisation indépendante à but non lucratif financée par des dons privés de citoyens russes », peut-on y lire. Parmi ses missions : identifier des cas de violation des droits, attirer l’attention ou encore des aides financières.
Des liens étroits avec Evgueni Prigojine
Mais quand a été créée la Fondation et par qui ? Le site n’indique rien. Un rapport publié à l’automne dernier par l’université américaine de Clemson sur la campagne de désinformation russe nommée Storm-1516 est en revanche bien plus dissert. La fondation, y apprend-on, « a été fondée par Evgueni Prigojine, qui a annoncé le projet sur un réseau social russe en mars 2021 ».
Des précisions que l’on retrouve aussi dans un autre rapport, français celui-ci, réalisé par le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) et publié au mois de mai dernier.
Evgueni Prigojine, est une figure connue pour avoir dirigé la milice privée Wagner et avoir été un acteur central de la scène politico-militaire russe jusqu’à sa mort dans un accident d’hélicoptère en 2023.
Cette affiliation jette une lumière particulière sur l’objectif réel de la Fondation, que des spécialistes de la désinformation considèrent comme un instrument d’influence stratégique. « C’est une opération d’influence russe, pas une fondation comme nous pouvons l’imaginer », assure aux Surligneurs Saman Nazari, responsable de recherche pour le réseau Alliance4Europe et coordinateur du Réseau de Lutte contre la Désinformation (Counter Disinformation Network).
« C’est du pipeau qui ne sert qu’à servir le narratif russe », abonde Kevin Limonier, professeur des Universités et spécialiste de l’espace informationnel russe. « Avec cet organisme, on est vraiment au cœur du dispositif russe de manipulation de l’information qui consiste à identifier des lignes de fracture au sein des sociétés occidentales, dont la France, pour amoindrir la légitimité d’Emmanuel Macron et in fine le soutien à l’Ukraine », nous précise-t-il.
Notons, à ce propos, que différents médias et sites spécialisés ont aussi largement documenté les campagnes menées par la mal-nommée Fondation pour la lutte contre l’injustice pour déstabiliser les dernières campagnes électorales aux États-Unis (CNN, NBC, France 24) ou en Allemagne (Facta, Alliance4Europe).
Un auteur au service du narratif russe
Le texte relayant ces accusations contre Emmanuel Macron a été rédigé par Lucas Leiroz. D’origine brésilienne, il est notamment mentionné dans le rapport de Viginum comme un des « individus étrangers » qui a « participé à des opérations informationnelles de Storm-1516 ».
Un rôle actif au service du narratif russe qui est également souligné par le rapport de l’université de Clemson. Lucas Leiroz « a été lié au mouvement néofasciste de la Nouvelle Résistance d’Alexandre Douguine et a déjà été l’auteur de récits de désinformation russes publiés sur infobrics.org, une page liée à la Direction générale du renseignement russe (GRU) », y est-il indiqué.
Dans un article consacré à la même désinformation, le média spécialisé sur le renseignement, Intelligence Online, écrit pour sa part que Lucas Leiroz est un « propagandiste largement identifié […] proche de l’idéologue ultranationaliste russe Alexandre Dougine et collabore avec divers médias de propagande du Kremlin ». « Il ne peut en aucun cas être considéré comme une source fiable », assure Saman Nazari.
Cette accusation repose sur des sources liées à des réseaux de désinformation bien connus, déjà impliqués dans d’autres campagnes similaires en Europe et aux États-Unis. Elle ne s’appuie sur aucune preuve vérifiable à ce jour.