Attention à ces vidéos générées par IA qui assurent que l’armée française a refusé un ordre d’Emmanuel Macron
Autrice : Clara-Robert Motta, journaliste
Relectrice : Maylis Ygrand, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara-Robert Motta, journaliste
Source : Compte Facebook, le 5 septembre 2025
Des comptes sur les réseaux sociaux assurent que l’armée française aurait « refusé un ordre de Macron ». Il n’existe aucune preuve de cela et l’armée dément. Cette infox provient d’un compte Youtube qui publie des vidéos générées par intelligence artificielle à la chaîne et qui pourrait être lié à une opération de déstabilisation par rapport à l’aide européenne en Ukraine.
Une rumeur qui court à bas bruit, mais qui pourrait bien exploser incessamment sous peu ? « Les militaires refusent les ordres de Macron. Ça se termine ! La grande muette commencerait elle à se réveiller ? », demande un internaute. D’après certains, l’armée française serait en passe de s’opposer au Président.
Des dizaines de comptes TikTok, Facebook, Instagram, YouTube ont repris à leur compte cette affirmation selon laquelle des militaires — on ne sait qui exactement — auraient refusé un ordre — on ne sait lequel exactement — provoquant ainsi un début de « coup d’État », comme l’assurent certains internautes.
Mais ces informations sont infondées et le premier compte à avoir émis cette idée est une chaîne YouTube dont le contenu généré via l’aide de l’intelligence artificielle est peu cohérent et jamais sourcé.
Un compte YouTube de vidéos cheap générées par IA
Le trajet de cette information inventée débute avec un compte YouTube, qui a commencé à partager des vidéos le 22 août et publie désormais quotidiennement. Toutes les vidéos sont construites de la même manière : des images de médias en fond et une voix monocorde vraisemblablement générée par intelligence artificielle. Et surtout, aucune de leurs affirmations n’est sourcée.
Ainsi, la vidéo publiée le 30 août 2025 qui s’intitule « EXCLUSIF – L’armée française refuse un ordre de Macron : le signal d’un coup d’État rampant ? » assure que l’information émanerait de « plusieurs sources militaires sous couvert d’anonymat ». Une formule opportune qui ne prouve rien et qui est démentie par l’armée.
« La rumeur avancée dans les publications […] est fausse », répond le service de communication du ministère de l’armée aux Surligneurs.
D’après eux, ces vidéos auraient pour but de « générer de l’incertitude pour créer dans le champ des perceptions un doute plausible sur le bon fonctionnement de nos institutions. C’est l’un des objectifs de la guerre hybride menée contre la France par nos adversaires et compétiteurs, dans l’objectif de générer des vues et des réactions, ce qui est favorisé par les algorithmes. »
Cette absence de source et de preuve n’a pas empêché la vidéo de connaître un important succès sur YouTube (255 000 vues, dix jours après la publication) et, surtout, d’être reprise par d’autres comptes spécialisés dans la génération de vidéos par l’IA : YouTube, le 2 septembre et des dizaines de comptes TikTok (ici, ici ou ici) notamment à partir du 5 septembre.
Une autre vidéo attribuant des propos erronés contre « l’envoi de troupes françaises en Ukraine » à un chef d’état-major s’est également mise à circuler à ce moment-là.
Un pic de reprises après l’annonce commune des dirigeants européens
La propagation de ces vidéos cheap à ce moment-là n’est pas anodine. Ce 4 septembre, vingt-six pays, notamment européens dont la France, se sont engagés à participer à déployer des troupes en Ukraine comme une « force de réassurance » en cas de cessez-le-feu dans la guerre russo-ukrainienne.
Or, si les vidéos originelles n’explicitent pas quel ordre du président l’armée aurait supposément refusé de réaliser, les hypothèses sont majoritairement liées à un « départ en Ukraine ». « L’armée française refuse d’aller combattre en Ukraine », assure un internaute. « La nouvelle est tout à fait sérieuse, c’est la deuxième fois que l’armée refuse de partir en Ukraine », précise même un autre.
Il n’existe pourtant aucune preuve tangible de cela.
Un discours présent depuis plusieurs mois
Le politique d’extrême droite, Florian Philippot, avait publié, en avril 2025, une vidéo nommée « ‘L’armée envoie balader Macron !’ : refus incroyable sur l’Ukraine ! » qui reprenait son discours lors « d’une manifestation pour la paix » que son parti, Les Patriotes, avait lui-même organisée le samedi 29 mars 2025.
Il y assure que l’armée souffre de nombreuses démissions et de difficultés de recrutement. Selon lui, c’est là le « signe évident d’une colère sourde dans nos armées, car personne n’ira mourir pour cette guerre qui n’est pas la nôtre ». Si le constat de base concernant les démissions est correct, l’idée selon laquelle elles sont liées à un refus d’un potentiel engagement en Ukraine est infondée.
D’après un rapport de l’Assemblée nationale de mars 2025, le nombre de désertions dans l’armée de terre a significativement augmenté à partir de 2022 (893 en 2021, 1 418 en 2022 et 1 188 en 2023). Sauf que, contrairement à la conclusion de Florian Philippot, l’identification des causes est compliquée « au vu du volume relativement réduit des occurrences par rapport aux effectifs gérés ainsi que de la singularité des cas », rapportent les parlementaires.
Selon les rapporteurs, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hausse : « la pleine sortie de la crise de la Covid-19, avec un effet de rattrapage de départs retardés pendant la crise » ainsi qu’une « période de plein-emploi qui se caractérise par une hausse générale des départs, dont ceux pour radiation disciplinaire et réforme ». La guerre en Ukraine est citée parmi l’un des facteurs mais simplement pour son impact sur la Légion étrangère : « Environ 85 légionnaires d’origine ukrainienne ont déserté pour retourner combattre dans leur pays, soit 20 % de l’accroissement constaté ».
Il n’existe donc aucune preuve que l’armée française n’a refusé un ordre direct d’Emmanuel Macron, ni une première fois ni une seconde fois, qui plus est sur l’envoi de troupes en Ukraine.