Attentat antisémite en Australie : non, cette vidéo ne prouve pas qu’il s’agit d’une opération sous « faux drapeau »
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte X, le 14 décembre 2025
La vidéo d’une commissaire de police australienne qui explique que la découverte d’une caravane contenant des explosifs et une liste de lieux juifs est un « faux scénario terroriste » date de mars 2025 et n’a rien à voir avec l’attentat antisémite de la plage de Bondi.
Quinze personnes ont été tuées et plus d’une quarantaine blessées lors de l’attaque terroriste antisémite sur la plage de Bondi, à Sydney en Australie, ce dimanche 14 décembre 2025. Deux hommes – dont l’un est mort – ont ouvert le feu lors d’une célébration juive de Hanouka.
Alors que des joutes diplomatiques entre les Premiers ministres australien et israélien ont commencé le jour même de l’attentat, certains internautes ont jeté le doute sur les causes de l’attaque, usant d’une rhétorique de retournement victimaire souvent observée après de tels événements.
« L’État profond joue les dernières cartes. Boom. La police fédérale australienne confirme que le convoi lié à une prétendue ‘attaque terroriste antisémite’ était une opération sous faux drapeau », écrit un internaute sur X en partageant une vidéo d’une policière tenant une conférence de presse, quelques heures seulement après l’attaque.
L’expression « faux drapeau », ou « false flag » en anglais, sert à qualifier des opérations dont la paternité est publiquement attribuée à un acteur donné, quand, en réalité, elle émane d’un second acteur dissimulé – lequel se révèle parfois être la victime de l’attaque. Si des opérations sous faux drapeau existent bel et bien, le recours systématique à cette théorie lors d’attentats est parfois qualifié de conspirationniste.
Preuve en est : si elle fait bien référence à une opération sous faux drapeau, la vidéo diffusée par les internautes date de mars 2025 et concerne une tout autre affaire. Elle n’a donc pas de lien direct avec les meurtres perpétrés à la plage de Bondi, le 14 décembre.
Une caravane et « faux scénario terroriste »
La vidéo en question a été prise lors d’une conférence de presse de la commissaire adjointe de la police fédérale australienne, Krissy Barrett, le 11 mars 2025. Elle explique alors aux journalistes que la police pense désormais que les explosifs trouvés dans une caravane faisaient partie d’un « faux scénario terroriste« .
Le 19 janvier 2025, la police du New South Wales avait été alertée par un appel anonyme signalant la présence d’une caravane suspecte dans une propriété à Dural, une banlieue de Sydney. Une fois sur place, les policiers ont découvert qu’elle contenait des explosifs et une liste de lieux juifs, dont la grande synagogue de Sydney.
Lors de sa conférence de presse, presque deux mois après les faits, la commissaire de police précise qu’aucun détonateur n’a été trouvé sur place et que le véhicule « n’aurait jamais pu être à l’origine d’un événement faisant de nombreuses victimes« . Les enquêteurs ont estimé que la caravane faisait en fait partie « d’un complot terroriste fabriqué de toutes pièces », qualifié « d’escroquerie criminelle ».
« Nous pensons que la personne qui tire les ficelles souhaitait modifier son statut pénal, mais qu’elle a pris ses distances par rapport à son projet et a engagé des criminels locaux présumés pour mettre en œuvre certaines parties de son plan« , a-t-elle assuré. Contactée pour plus de précisions, celle-ci a expliqué ne pas pouvoir commenter les enquêtes en cours.
La personne accusée d’être le cerveau de l’opération aurait ainsi manigancé pour obtenir l’annulation de poursuites contre lui pour trafic de drogue. « Il s’est rendu à la police fédérale [puis] a tenté d’extorquer un accord pour rentrer chez lui [et] obtenir l’abandon des accusations de trafic de drogue, en échange de la révélation de l’emplacement des explosifs« , a expliqué un officier de police interrogé par le Daily Telegraph.
Le suspect, en fuite en Turquie, avait d’ailleurs avoué à la chaîne ABC, le 4 mai 2025, avoir joué un rôle dans l’acheminement de la caravane, tout en niant être à l’origine de messages antisémites.
Des conséquences législatives… et politiques
La révélation de ce « faux scénario terroriste » a secoué le pays et conduit à l’ouverture d’une enquête parlementaire pour déterminer ce que savait la police et le gouvernement de cette affaire et de son caractère factice, notamment lorsqu’ont été passées des lois « anti-manifestations ».
« Cette législation faisait partie d’un ensemble de lois adoptées pour lutter contre les discours haineux à la suite d’une série d’incidents antisémites à Sydney, mais elle a suscité des critiques, car elle est jugée trop vague et a été adoptée à la hâte« , décrit le média ABC.
Durant les entretiens, le comité parlementaire a dévoilé qu’un officier de police du New South Wales avait signé un « accord de confidentialité lorsque la police fédérale lui a révélé début février que le « cerveau » derrière le complot terroriste simulé de Sydney avait pour objectif d’influencer les poursuites judiciaires« , rapporte The Guardian.
L’enquête parlementaire n’est pas encore finalisée, mais les lois « anti-manifestations » ont été jugées inconstitutionnelles en octobre 2025.
Dernier rebondissement en date : des observateurs ont émis l’hypothèse que le principal suspect aurait pu agir pour le compte de l’Iran, rapporte le Daily Telegraph. Le 28 août 2025, le Premier ministre, Anthony Albanese, avait assuré que les services secrets australiens avaient trouvé des traces de l’implication de la République islamique dans deux attaques antisémites perpétrées en octobre et décembre 2024. L’Australie avait alors donné une semaine à l’ambassadeur iranien pour quitter le territoire.
En clair, l’incident de la caravane bourrée d’explosifs était bien un « faux scénario terroriste ». Mais il aurait été conçu pour des raisons « personnelles », selon la conférence de presse de la police australienne de mars relayée par les internautes, et n’a donc rien à voir avec l’attentat antisémite du 14 décembre.
L’attentat de la plage de Bondi a été perpétré par deux suspects, selon la police et les autorités australiennes : un père et son fils. D’après le Premier ministre australien, qui s’appuie sur les premières conclusions de l’enquête, l’attaque semble « motivée par l’idéologie de l’Etat islamique« . En témoigneraient les drapeaux du groupe État islamique retrouvés dans la voiture des assaillants, ainsi que leur voyage sur une île des Philippines qui abriterait des combattants islamistes.
Si certains actes spécifiques pourraient avoir été commandités depuis l’étranger, rien n’indique que c’est le cas de l’attentat de Bondi, ou de la plupart des actes de violence contre la communauté juive en Australie, dont le recensement a augmenté depuis le 7 octobre 2023. Entre octobre 2023 et octobre 2024, le Conseil exécutif de la communauté juive d’Australie a compté 2 062 signalements dans le pays, puis 1 654 entre octobre 2024 et septembre 2025.
