Arnaud Montebourg souhaite que le Parlement français puisse « modifier » le droit européen… mais ça serait au risque d’un « Frexit »
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, chercheur au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Source : Le Journal de Saône-et-Loire, vidéo du discours, 25 septembre 2021
Le Parlement français a déjà la possibilité d’adapter quelque peu le droit européen, par exemple lorsqu’il transpose des directives européennes. Mais donner au Parlement la possibilité d’appliquer un droit européen à la carte serait contraire au principe de primauté du droit de l’Union sur le droit national.
Arnaud Montebourg, ancien ministre socialiste et candidat à l’élection présidentielle de 2022, réunissait ses partisans à Frangy-en-Bresse lors de la fête de la rose ce samedi. Il a notamment affirmé qu’il était “est nécessaire que la constitution rappelle la supériorité de la loi nationale, la supériorité du Parlement” et il poursuit en proposant que le Parlement “pourra modifier, amender, corriger toutes décisions de l’Union européenne indésirables qui viendraient à s’appliquer sur le sol national”. Arnaud Montebourg revendique ainsi ni plus ni moins que le droit, pour le Parlement, d’appliquer la législation européenne à la carte.
Or cette proposition contrevient à un principe fondateur du droit de l’Union : sa primauté sur le droit national. Mais qu’est-ce que la primauté ? Il s’agit d’un principe de l’Union européenne qui implique que les lois et les règlements français doivent être conformes au droit issu des institutions européennes. L’article 4 du Traité sur l’Union européenne, qui engage tous les 27 États l’ayant ratifié, leur impose d’exécuter le droit de l’Union. Mais ce n’est pas tout, les États membres ont rédigé et approuvé une déclaration dans laquelle ils reconnaissent cette primauté du droit de l’Union sur le droit national. La raison est simple : comme l’expliquait la Cour de justice des Communautés européennes en 1964, sans prévalence des obligations européennes sur celles des États, il n’y aurait tout simplement plus d’obligation européenne, puisque chacun pourrait s’en dégager selon son bon vouloir. Comment fonctionne cette primauté ? En cas de conflit entre les lois françaises et les lois européennes, le juge français aura l’obligation de privilégier la loi européenne et ainsi d’écarter la loi française. Le Parlement français peut toujours déroger au droit de l’Union, mais alors l’État sera sanctionné tant par le juge français que par la Cour de justice de l’Union européenne.
Or, même s’ils ne sont pas aussi satisfaisants que ce que voudrait Arnaud Montebourg, des outils sont déjà disponibles qui permettent au Parlement français de se faire entendre de l’Union européenne. D’abord, les Parlements nationaux peuvent interpeller la Commission lorsqu’ils estiment qu’une proposition d’acte législatif européen n’est pas conforme au principe de subsidiarité. Ce principe permet aux institutions nationales de réaliser les actions de manière plus efficace que si l’Union les avait réalisées. En d’autres termes, l’Union ne doit intervenir que si c’est nécessaire. Par ailleurs, et dans une logique similaire, l’article 88-4 de la Constitution française oblige le gouvernement à transmettre au Parlement toutes les propositions d’actes des institutions européennes. Cela permet au Parlement éventuellement de réagir en adoptant une résolution, mais qui ne permet pas de contraindre le gouvernement.
Il faut rappeler aussi que le Parlement a une certaine marge de manœuvre lorsqu’il transpose les directives européennes, qui sont des textes qui ne font que fixer des objectifs à atteindre par les États membres. Les moyens d’atteindre ces objectifs, eux, sont laissés à la libre appréciation du législateur national et du gouvernement. C’est la même chose pour l’objectif de ne pas avoir un déficit public excessif : chaque État membre choisit son modèle, qu’il s’agisse d’augmenter les impôts, de réduire les dépenses, d’améliorer l’efficacité des services publics ou encore de favoriser la croissance.
Si ces marges de manœuvre ne sont pas suffisantes pour Arnaud Montebourg et qu’il demeure réticent à faire primer le droit de l’Union sur le droit national, des solutions plus radicales sont envisageables. Pour échapper à la primauté du droit de l’Union, il est tout à fait possible de modifier les traités fondateurs. Les États membres pourraient y inclure la possibilité pour eux de filtrer les normes transposables dans la législation nationale. Toutefois, il faudrait obtenir un consensus de l’ensemble des 27, ce qui est en pratique difficilement atteignable, étant donné que cette mesure mettrait un terme à l’intégration européenne.
Une autre possibilité serait tout simplement de quitter l’Union. Ce “Frexit”, prévu par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, permettrait à la France de ne plus être liée par le droit de l’Union. Si un tel scénario venait à se produire, il faudrait aussi réviser la Constitution pour abroger le titre XV de la Constitution française qui prévoit que la France est membre de l’Union européenne.
Or, rien dans son discours de Frangy-en-Bresse ne laisse entendre qu’Arnaud Montebourg souhaiterait ce Frexit. Assumera-t-il les conséquences de ses propositions ?
Contacté, Arnaud Montebourg n’a pas répondu à nos sollicitations.
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