ARCOM VERSUS PORNHUB : deux sets à zéro pour Pornhub. Il faut dire que la loi n’est pas bien claire
Auteur : Tom Murris, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng
Rien de plus facile que de cocher “j’ai plus de 18 ans” pour accéder à un site interdit aux mineurs. C’est pourquoi la loi a interdit ce procédé sous peine d’emprisonnement et d’amende, mais sans imposer d’autre procédé. L’ARCOM est donc bien démunie pour faire respecter une loi si floue, et Pornhub exploite la faille.
La semaine dernière s’est tenue une commission à l’Assemblée nationale durant laquelle la secrétaire d’état Charlotte Caubel a défendu l’usage de la carte bancaire pour protéger les mineurs contre les sites pornographiques. Elle s’est également indignée à propos de l’inaction et de la défense des sites pornographiques quant à la nécessité d’agir pour la protection des mineurs. Cette question, portant sur l’effectivité des moyens actuels de contrôle d’accès des mineurs aux plateformes pour adultes, n’est pourtant pas nouvelle puisque les associations de protection de l’enfance bataillent depuis très longtemps contre les sites pornographiques. L’affaire a pris une tournure judiciaire il y a près d’un an avec le leader mondial de la pornographie Pornhub, et une décision rendue le mois dernier qui lui donne gain de cause.
Une guerre interminable entre L’ARCOM et les plateformes pornographiques
Le 4 octobre 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation, sur demande de l’opérateur du site pornographique Pornhub. La Cour de cassation doit encore trancher sur la question de savoir si cette question doit être transmise au Conseil constitutionnel, et ce dernier devra se prononcer. Rien n’est donc définitif, mais c’est déjà un premier succès pour Pornhub.
L’affaire en cause opposait l’Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et Numérique (l’ARCOM), anciennement Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, à cinq sites pornographiques, au sujet de la protection des mineurs et du contrôle de l’accès à leurs services.
C’est en effet à la suite d’un décret de 2021 relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique, que l’ARCOM, faisant suite à la demande de trois associations, a exigé en décembre 2021 de Pornhub et d’autres sites de se conformer aux exigences légales de protection des mineurs. Ces plateformes avaient alors quinze jours pour empêcher l’accès aux mineurs, sous peine d’être reconnues coupables de l’infraction de diffusion de contenu pornographique à des mineurs prévue par le Code Pénal, et qui entraîne tout de même jusqu’à trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Face au refus d’obtempérer, l’ARCOM devait saisir le tribunal judiciaire de Paris afin de bloquer les sites. Mais le 24 mai, elle essuyait un premier revers en raison d’une erreur de procédure : elle n’avait pas produit certains documents dans les délais requis, et elle dut reprendre toute la procédure. Et l’ARCOM vient de perdre une nouvelle manche avec la question prioritaire de constitutionnalité admise le 4 octobre.
L’enjeu : la protection des mineurs
Si l’ARCOM a enjoint aux sites pornographiques en cause de renforcer leurs moyens de contrôle d’accès à l’encontre des mineurs, c’est parce que la loi du 30 juillet 2020 a complété l’article du code pénal qui prévoit que le simple message à cocher pour attester que l’utilisateur d’une plateforme pornographique a plus de 18 ans, ne suffit plus. De nombreux sites ont pourtant continué leurs activités sans tenir compte de ces dispositions.
Si les contenus de ces sites ne sont pas illégaux en principe, la loi en interdit l’accès aux mineurs. Or la simple mention cliquable “je certifie à avoir plus de 18 ans“, qui permet l’accès à ces sites, est bien trop simple à contourner, dès lors qu’il n’existe aucune vérification et que la bonne foi de l’utilisateur est présumée. Selon Charlotte Caubel “plus de deux millions de mineurs vont chaque mois sur des sites pornographiques”, ce qui prouve l’ineffectivité du contrôle actuel. Cela explique l’action de l’ARCOM, et sa volonté de bloquer les sites.
Pornhub a convaincu le juge que la loi était trop trop floue
Puisque la loi prévoit que le message/bouton certifiant que l’on est majeur ne suffit pas pour restreindre l’accès des sites pornographiques, l’ARCOM a enjoint aux sites litigieux de prendre des mesures pour y remédier, comme un contrôle de l’âge des utilisateurs. Mais comment faire ? Or, il n’y a aucune précision dans la loi sur le procédé à mettre en œuvre.
Et c’est sur ce point que Pornhub présente sa question prioritaire de constitutionnalité, car cet éditeur estime que l’infraction qui lui est reprochée n’est pas définie “en des termes suffisamment clairs et précis“, ce qui va à l’encontre du principe de légalité des délits et des peines. Ce principe veut que toute infraction soit décrite précisément par les textes, afin d’assurer la sécurité juridique des citoyens. Or, le Code pénal ne précise pas les mesures à prendre pour vérifier l’âge de l’utilisateur, et se borne à énoncer que la mention“+18” n’est plus valable.
Pornhub explique aussi son refus par le fait que les moyens de filtrage actuellement disponibles ne seraient pas satisfaisants, en ce qu’ils n’assureraient pas un équilibre entre la protection des mineurs, le respect de la vie privée et l’économie de leur site. Il serait selon l’éditeur difficile de restreindre l’accès aux mineurs par un procédé contraignant, sans décourager les majeurs à utiliser leur site. Or il est constant qu’imposer un contrôle effectif de l’âge – par exemple par l’envoi d’un papier d’identité – reviendrait à effectuer une collecte de données personnelles portant atteinte à la vie privée. Selon les sites incriminés, tout système fiable de contrôle de l’âge impliquerait la communication de données sensibles par les utilisateurs, et dissuaderait l’ensemble des utilisateurs.
Comment s’assurer que l’utilisateur est majeur, sans atteinte à la vie privée ?
La Commission Nationale de l’informatique et des Libertés (CNIL) avait proposé des solutions plus précises comme la vérification de l’âge par carte de paiement, par analyse de documents d’identité ou encore par inférence (analyse de l’historique, questionnaire de maturité) en impliquant le plus souvent dans ses solutions le recours à un tiers de confiance pour la transmission de données. Mais ces solutions semblent encore imparfaites quant à leur fiabilité. Non seulement elles sont contournables, mais elles impliquent une ingérence dans la vie privée de l’utilisateur, et des contraintes très lourdes aux éditeurs de pornographie en ligne.
Il semble donc que la loi actuelle, en laissant aux seuls éditeurs de sites pornographiques le choix des outils pour détecter l’âge des utilisateurs, ait créé un flou juridique. Or la Constitution ne tolère pas les flous juridiques dans la loi pénale. Ce sera au Conseil constitutionnel, le cas échéant, de trancher. Il pourrait alors obliger le législateur à imaginer lui-même un système, à ou confier ce soin au gouvernement par décret.
C’est pourquoi l’avocat de l’ARCOM, Nicolas Jouanin, précise que “ce n’est pas la copie de L’ARCOM qui est jugée, c’est celle du législateur”…
Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre novembre 2022 et janvier 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
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