Anne-Laure Féral-Pierssens : « Nous devons soigner toutes les personnes avec la même conscience »
Propos recueillis par Clotilde Jégousse, journaliste
La cheffe du SAMU 93 et des urgences des hôpitaux Avicenne et Jean Verdier est vent debout contre une potentielle suppression de l’AME, qu’elle juge dramatique pour l’hôpital.
Olivier Véran le soutenait mordicus à la mi-novembre : l’aide médicale d’État (AME) ne serait ni supprimée, ni transformée en aide médicale d’urgence. Ce lundi 18 décembre, la Première ministre Elisabeth Borne s’est pourtant engagée auprès des Républicains (LR) à réformer le dispositif début 2024. Une démarche qui, de l’avis d’Anne-Laure Féral-Pierssens, médecin urgentiste et chercheure à SciencesPo, pourrait complexifier le suivi des maladies, et se heurter à la déontologie des professionnels de santé.
Vous êtes l’une des 3000 soignants à avoir demandé, dans une tribune publiée le 2 novembre, le maintien de l’AME. Pourquoi ?
Il y a urgence à mobiliser. Dans les services dans lesquels je travaille, on prend déjà en charge des patients en situation irrégulière sans protection sociale, et on voit la différence : les cas sont plus graves et nécessitent plus souvent une hospitalisation. J’ai reçu un étranger qui s’était blessé sur un chantier plusieurs semaines auparavant. Il aurait nécessité des soins assez communs mais n’ayant pas d’AME, il avait attendu avant de consulter. Sa main avait triplé de volume. On n’était plus sur une petite infection, mais sur une ostéite : l’os était rongé. Il a fallu plusieurs semaines d’hospitalisation, des antibiotiques intraveineux, donc des coûts beaucoup plus élevés pour le patient, pour les équipes du système hospitalier déjà éreintées, et pour la société. Les conséquences sont déjà connues.
Le dispositif pèse-t-il vraiment sur l’hôpital, comme l’avance la droite ?
Le nombre de bénéficiaires augmente, et il faut s’en réjouir. Cela traduit une meilleure connaissance du dispositif. Encore aujourd’hui, seulement une personne éligible sur deux en est effectivement bénéficiaire. L’AME doit être renouvelée tous les ans et les démarches sont très longues. Dans le 93 par exemple, une seule des douze caisses d’assurance maladie du département traite les demandes. C’est sûrement le dispositif public qui est le plus sujet aux discussions et remises en cause, alors qu’en terme budgétaire, il ne s’agit pas d’une des enveloppes les plus importantes, loin de là. Présenter l’AME comme un appel d’air est erroné.
Le code de déontologie médicale empêcherait-il de refuser ces patients ?
Dans les établissements publics, la question ne se posera jamais. Un patient qui a besoin de soins sera pris en charge. Nous devons soigner toutes les personnes avec la même conscience. Dans les établissements privés en revanche, on ne sait pas comment la loi s’appliquerait. Ils sont eux aussi tenus par le code de déontologie [NDLR : le code de la santé publique prévoit qu’un médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril doit lui porter assistance], mais la problématique n’est pas la même lorsqu’il s’agit d’être payé ou non.
Y a-t-il un consensus dans le milieu médical ?
Je n’ai pas entendu de voix dissonante. Après la tribune, il y a eu un véritable écho. On a été rejoints très rapidement par des médecins, d’autres professionnels de santé, les sociétés savantes, des figures publiques et politiques. L’hôpital public connaît des difficultés majeures, et ce dont il a besoin, c’est que l’on prenne en charge les patients au bon moment et au bon endroit. Les soins qui sont dévolus à l’hôpital ne doivent pas être des soins qui auraient dû être gérés en amont beaucoup plus simplement.
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