Capture d'écran, Lyon Capital

#LegalCheck. Agnès Marion (Reconquête) : “Il faut rétablir les frontières nationales”

Création : 6 juin 2024

Autrice : Sarah Auclair, doctorante en droit européen, enseignante à l’Université Paris-Est Créteil

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Lyon Capitale, 28 mai 2024

Rétablir les frontières nationales de façon permanente est quasiment impossible dans le cadre actuel de l’Union européenne. Il faut soit négocier la modification des traités, soit sortir de l’Union européenne.

Agnès Marion, candidate en septième position sur la liste Reconquête menée par Marion Maréchal-Le Pen, propose de « rétablir les frontières nationales » dans le cadre de la politique migratoire de l’Union européenne. Cette idée, exprimée lors d’une interview au journal Lyon Capitale, s’aligne sur la ligne politique de son parti en matière d’immigration. Mais est-ce réalisable dans le cadre légal actuel de l’Union européenne ?

Que recouvre exactement l’expression « rétablissement des frontières nationales » ? 

Cette expression, quelque peu ambiguë, semble manquer de clarté. Selon le programme de Marion Maréchal-Le Pen, tête de liste de Reconquête, le parti envisage d’instaurer ce qu’il appelle une « triple frontière ». Ce concept implique le rétablissement des frontières intérieures de l’Union européenne et la fin de la libre circulation pour les personnes extra-européennes.

Le marché intérieur de l’Union européenne repose sur quatre libertés fondamentales, dont la libre circulation des personnes, pilier central de l’Union. L’article 21 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) établit clairement le droit des citoyens et citoyennes de l’Union de circuler et de séjourner librement à travers les États membres. Toute modification de cette disposition requiert une révision des traités, un processus qui exige l’unanimité des États membres, suivie de leur ratification conformément aux règles constitutionnelles de chaque État. Cela semble bien irréalisable en raison du manque de consensus sur le sujet.

La libre circulation dans l’espace Schengen

L’espace Schengen, inspiré du principe de libre circulation au sein de l’Union européenne, a été officiellement créé par l’accord de Schengen, signé initialement en 1985, puis intégré dans le cadre juridique de l’UE par le traité d’Amsterdam en 1997. Cet espace inclut non seulement les pays membres de l’UE mais aussi d’autres pays comme la Norvège, l’Islande, la Suisse, et le Liechtenstein. Le parti Reconquête, qui milite pour le rétablissement des frontières nationales, regrette l’époque précédant l’entrée en vigueur de l’accord de Schengen. En effet, l’accord de Schengen abolit les contrôles systématiques aux frontières intérieures, facilitant ainsi une libre circulation quasi sans entrave entre les États signataires. L’article 22 du règlement Schengen indique que les États membres doivent supprimer tous les obstacles à la circulation fluide aux frontières intérieures.

De plus, le règlement Schengen permet également aux ressortissants et ressortissantes de pays tiers, munis d’un visa Schengen valide ou d’un titre de séjour d’un État membre, de circuler librement dans l’espace Schengen pour des périodes de 90 jours tous les six mois et de « droits en matière de libre circulation équivalents à ceux des citoyens de l’Union ». Ces personnes doivent cependant respecter les conditions d’entrée initiales, comme la possession de documents valides et la justification de l’objet de leur séjour.

Il est vrai que si le Règlement Schengen prévoit la suppression des contrôles aux frontières internes, il permet aussi la réintroduction temporaire de ces contrôles en cas de menaces sérieuses pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Cependant, ces mesures doivent rester exceptionnelles et proportionnées, utilisées en dernier recours, et leur durée est strictement limitée (jusqu’à six mois pour des événements prévisibles, ou deux mois pour des actions immédiates).

Cette limite se justifie par le principe de libre circulation mais seulement. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, juridiquement contraignante depuis 2009, inclut le respect des droits humains et des libertés fondamentales, y compris le droit d’asile et le principe de non-discrimination. Ainsi, les politiques visant à restreindre significativement l’immigration doivent respecter ces droits, ce qui limite la marge de manœuvre des États, et donc de la France pour rétablir ses frontières.

Négocier ou sortir de l’Union européenne

Par ailleurs, modifier l’accord de Schengen pour réintroduire les contrôles aux frontières de manière permanente nécessiterait également un consensus parmi les États membres, ce qui paraît extrêmement complexe à obtenir compte tenu des divergences de politique intérieure et externe en Europe. Sans modifier le droit, la France risque d’être lourdement sanctionnée par la Cour de Justice de l’Union européenne. Dès lors, la seule option viable pour envisager un rétablissement des frontières nationales pourrait être de considérer une sortie de l’Union européenne.

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