Affaire Stéphane Plaza : Mediapart a-t-il « violé la vie privée » de l’animateur en diffusant un enregistrement ?

Création : 27 août 2024
Dernière modification : 28 août 2024

Auteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé à l’Université d’Aix-Marseille, directeur du master droit des médias électroniques

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Compte X, le 16 août

Si la vie privée est protégée en sanctionnant la divulgation d’un enregistrement privé, cela doit être concilié avec le droit du public à l’information et la liberté d’expression des journalistes, surtout quand le cas concerne des personnes notoires.

Poursuivi pour violences physiques et psychologiques sur deux ex-compagnes, Stéphane Plaza est convoqué devant le Tribunal correctionnel de Paris ce 28 août 2024.

C’est dans ce contexte déjà troublé que Mediapart a diffusé, à 12 jours de l’audience, les extraits d’un enregistrement. Il a été réalisé à l’insu de l’animateur par l’une des victimes présumées, selon Mediapart, révélant des termes particulièrement violents proférés par l’animateur à l’encontre de son ex-compagne. 

Le média d’investigation a ensuite choisi de le diffuser au grand public « pour faire comprendre ce que peuvent être les violences psychologiques« , justifie le journal.

De son côté, l’animateur a annoncé le 23 août, par la voix de ses avocats, son souhait de porter plainte contre la journaliste de Mediapart à l’origine de l’enquête, pour diffamation.

Au-delà de ce nouveau volet judiciaire, si l’ex-compagne de Stéphane Plaza est bien à l’origine de cette diffusion, qui semble avoir été réalisée avec son accord, elle interroge sur le respect de la vie privée de Stéphane Plaza.

Et ce, indépendamment des autres éléments de preuve qui ont pu être collectés dans cette affaire. Les conclusions du procès qui s’ouvre ce 28 août pourraient nous permettre d’y voir plus clair. 

La sanction pénale de l’atteinte à l’intimité de la vie privée

Outre la protection qui découle de l’article 9 du Code civil, le droit au respect de la vie privée bénéficie également de dispositions pénales réprimant certaines atteintes, mais pas toutes, qui peuvent lui être portées. 

En particulier, les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal sanctionnent les atteintes portées à l’intimité de la vie privée à l’aide de procédés d’enregistrement de l’image ou de la voix d’une personne utilisés sans son consentement.

Ainsi, le fait d’enregistrer les paroles prononcées à titre privé ou confidentiel est puni d’un an de prison et de 45 000 € d’amende, les peines étant portées à deux ans et 60000 € lorsque l’enregistrement est réalisé par le conjoint ou le concubin de la victime.

Enfin, les mêmes peines peuvent être encourues en cas de diffusion au public dudit enregistrement, la responsabilité des entreprises de presse ou de communication audiovisuelle pouvant être recherchée lorsque la divulgation a été effectuée par l’un de ces moyens. 

Tel est bien le cas s’agissant des extraits sonores de l’échange entre Stéphane Plaza et son ex-compagne, si ce n’est que le respect de la vie privée doit ici être mis en balance avec le droit légitime du public à l’information. 

Le droit du public à l’information

Le droit au respect de la vie privée est régulièrement confronté à l’exercice de la liberté d’expression s’agissant de personnalités notoires. En la matière, la mise en balance des intérêts a souvent tourné en faveur de la seconde, les journalistes étant censés garantir le droit légitime du public à recevoir des informations sur des sujets d’intérêt général.

Les affaires de violences conjugales intéressant des personnalités politiques ou médiatiques relèvent incontestablement de ces sujets. Tout n’est cependant pas permis, le droit au respect de la vie privée ne pouvant être totalement écarté. 

La Cour européenne des droits de l’Homme, qui a été souvent sollicitée en la matière, a ainsi établi une liste de critères à prendre en considération pour garantir un juste équilibre.

En substance, ceux-ci sont les suivants : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d’obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que les circonstances de la prise des photographies lorsque l’image d’une personne physique est en cause. L’appréciation de ces critères se fait au cas par cas, les solutions pouvant varier d’une affaire à une autre. 

C’est ainsi que la Cour a estimé que la révélation de l’existence du fils naturel d’Albert de Monaco relevait d’un sujet d’intérêt général, eu égard aux circonstances dans lesquelles l’information et les photographies afférentes avaient été obtenues et diffusées.

Elle a en revanche considéré que la diffusion, par Mediapart, des enregistrements de conversations privées de Liliane Bettencourt, réalisés par son majordome à son insu, constituait bien une atteinte à l’intimité de la vie privée que le droit du public à l’information ne saurait légitimer.

Elle a à cette occasion affirmé que les journalistes sont censés agir « de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme responsable ». Ne pouvant ignorer que la diffusion de ces enregistrements constituait un délit, ils auraient dû agir avec davantage de prudence, et non donner une « dimension spectaculaire » à cette divulgation.

Au final, la Cour ne conteste pas que l’information du public sur ce sujet était incontestablement d’intérêt général, mais qu’il existait des moyens moins intrusifs d’en rendre compte. 

Ces critères de l’équilibre des droits ont depuis pu être appliqués par les juridictions françaises. La retranscription et la publication par le journal Le Monde des conversations téléphoniques d’Henri Guaino avec sa fille ont ainsi été considérées comme proportionnées à l’objectif d’information du public, en dépit d’un caractère intime manifeste, dès lors qu’elles révélaient l’impact émotionnel ressenti par l’intéressé du fait de la révélation des informations relatives au financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. 

Quid de l’enregistrement de la dispute de Stéphane Plaza avec son ex-compagne ?

S’agissant de l’affaire Stéphane Plaza, plusieurs éléments semblent aller dans le sens du droit du public à l’information, ne serait-ce que par la nature du sujet et la notoriété du principal intéressé.

Mais d’autres éléments sont plus problématiques, tel que le fait que l’enregistrement ait été réalisé à son insu. De même, la mise en cause d’autres personnes, en particulier des membres de la famille de l’ex-compagne, devrait également être prise en considération, celles-ci étant en principe extérieures à la vie publique de Stéphane Plaza.

On peut toujours questionner le procédé employé par Mediapart, à l’image de l’affaire Bettencourt. La retranscription des conversations ou la simple description de relations tendues présenteraient assurément un caractère moins intrusif que la diffusion des enregistrements. 

Ces défauts pourraient être « compensés » au regard d’autres critères, tels que le contenu et l’importance des informations révélées. Sur ce point, si la conversation révèle bien un climat tendu, leur gravité suppose d’apprécier l’ensemble de la situation, les violences psychologiques présentant souvent un caractère répété, ce qui devrait être appuyé d’autres éléments de preuve. Il semble en fait que tout dépende de l’issue du procès actuellement engagé.

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