Affaire Lola : mise en demeure de la chaîne C8 pour son émission “Touche pas à mon poste !”

Création : 28 novembre 2022
Dernière modification : 7 décembre 2022

Autrice : Léia Frayssinet, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université

Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah 

 

Dans l’affaire Lola, Cyril Hanouna s’est érigé durant son émission TPMP en véritable juge, au mépris de toute obligation de traitement honnête de l’information. L’ARCOM a donc adressé une mise en demeure à la chaîne C8, mais celle-ci est coutumière des rappels à l’ordre.

“Touche pas à mon poste !”, une émission qui a pour habitude de se retrouver au cœur de polémiques. Son présentateur, Cyril Hanouna (faut-il encore le présenter ?), a parfois tendance à pousser très loin les propos qu’il tient à l’antenne et ce devant près de 2 millions de téléspectateurs. Or, l’Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) n’apprécie pas toujours.

Rappel des faits 

Le 14 octobre 2022 le corps de Lola Daviet, une jeune fille de 12 ans, a été retrouvé dans une malle non loin de l’immeuble dans lequel elle résidait avec sa famille, dans le 19ème arrondissement de Paris. L’enquête montra que la jeune fille fut torturée et violée avant d’être assassinée. Ce meurtre a fait l’objet d’une très forte médiatisation. 

La principale suspecte, dont le portrait fut diffusé publiquement, est une Algérienne de 24 ans qui était sous l’effet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) depuis la fin du mois d’août 2022. 

Lors de son émission TPMP du 18 octobre 2022, Cyril Hanouna s’est montré direct : “Pour moi, il n’y a même pas de débat c’est, c’est, je suis désolé, c’est perpétuité”. Par la même occasion, il s’est exprimé sur l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de maladies mentales : “Quand on dit elle n’est pas bien, moi je vais vous dire, je peux plus entendre ça, il n’est pas bien, il est déséquilibré, c’est devenu la principale défense des avocats, dans ce genre de drame, et je vous le dis c’est un deuxième drame pour la famille”

Le lendemain, Cyril Hanouna persiste : “je le redis ce soir, je n’ai pas peur de le redire : pour ce genre de personnes pour moi le procès doit se faire immédiatement. C’est procès immédiat, c’est en quelques heures et terminé c’est perpétuité direct”. Enfin, quelques jours plus tard, il déclarait : “il faut bien sûr un procès, mais il faut un procès rapide. Et il faut une perpétuité rapide. Je ne vois pas pourquoi on se pose la question dans un cas comme celui-là”, ajoutant qu’aujourd’hui, “la présumée coupable (…), on utilise le mot présumé mais pour tout le monde c’est la coupable. Elle a fait des aveux en plus”.

Réaction de l’ARCOM

 Voilà pour le procès télévisé, que l’ARCOM n’a pas manqué de dénoncer. Par une décision du 16 novembre 2022, elle a mis en demeure la chaîne C8 de se conformer à ses obligations lesquelles résultent, comme pour toutes les chaînes de télévision, d’une convention entre ladite chaîne et l’ARCOM. Cette convention ne fait que reprendre les devoirs résultant des textes, dont une délibération du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel (devenu entretemps l’ARCOM), relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.

Un manquement aux devoirs des chaînes sur le traitement de l’information

 Parmi ces obligations donc, “l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent”, “une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne”. Autrement dit, la chaîne C8 aurait dû placer devant Cyril Hanouna un contradicteur d’un autre point de vue. Or l’animateur, selon l’ARCOM, s’est “exprimé longuement, sans interruption, sur la question de la réponse pénale à apporter aux meurtres d’enfants”, sur “des questions prêtant à controverse nécessitant que l’éditeur assure l’expression de différents points de vue”. En l’occurrence, aucune contradiction n’a été apportée, “seule une brève nuance” formulée par un invité de l’émission, a été évoquée plus tard dans l’émission. Il en résulte, selon l’ARCOM “une opinion a été présentée dans des conditions conduisant à un déséquilibre marqué dans l’analyse d’un sujet dont l’extrême sensibilité et le caractère controversé imposaient qu’il donne lieu à la présentation de différents points de vue”. C’est bien un manquement de la part de l’éditeur selon l’ARCOM (autrement dit la chaîne).

Autre obligation pesant sur les chaînes, le respect du droit à la présomption d’innocence en cas de procédure judiciaire en cours, et un traitement “avec mesure, rigueur et honnêteté”. On est loin du compte avec les propos rapportés. L’ARCOM considère que ces propos ”traduisent un défaut de mesure de l’évocation d’une procédure judiciaire criminelle en cours, dans le cadre, au surplus, d’un programme bénéficiant de larges audiences”. En outre, l’ARCOM a déploré le non-respect du droit à la présomption d’innocence.

Une réaction symbolique ?

En conséquence, l’ARCOM a mis en demeure la société C8 “de se conformer à l’avenir aux règles relatives à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent”. Cette mise en demeure annoncée, qui n’est assortie d’aucune sanction financière, peut sembler relativement clémente. Est-ce vraiment le cas ? 

En réalité, l’ARCOM poursuit un principe fondamental : prévenir avant de sanctionner. Conformément à cette mission, l’ARCOM est tenue d’agir de manière graduée : toute sanction éventuelle doit être systématiquement précédée d’une mise en demeure. Si la mise en demeure ne permet pas de supprimer les manquements constatés des sanctions plus sévères peuvent s’appliquer. La loi du 30 septembre 1986, prévoit que l’ARCOM peut prononcer la suspension de l’autorisation ou d’une partie du programme pour un mois (après nouvelle mise en demeure); la réduction de la durée de l’autorisation d’émettre ; une amende administrative avec  éventuellement d’une suspension de l’autorisation ou d’une partie du programme ; enfin, le retrait complet de l’autorisation d’émettre pour la chaîne. 

Ces menaces de sanction ne semblent toutefois pas effrayer la chaîne C8, qui n’en est pas à son premier rappel à l’ordre concernant TPMP

C8 et les rappels à l’ordre récurrents

L’émission a déjà fait l’objet de plusieurs mises en demeure dont une pour publicité clandestine. La chaîne s’était défendue en avançant qu’il s’agissait d’un parrainage. Le CSA (devenu ARCOM) avait alors exigé que ces parrainages soient plus clairement identifiables. Plus grave, la chaîne a été sanctionnée, en 2017, par une amende de 3 millions d’euros : Cyril Hanouna avait réalisé des canulars téléphoniques à l’antenne, et l’un d’eux avait été jugé homophobe. L’ARCOM a considéré que “la société C8 a gravement méconnu le principe de respect de la vie privée ainsi que son obligation de lutter contre les discriminations”. Enfin, la chaîne C8 a été mise en demeure par le CSA pour des faits d’agressions sexuelles au cours d’une émission diffusée en 2017 puis condamnée à suspendre sa publicité pendant deux semaines, pour des faits similaires, la même année. 


Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre novembre 2022 et janvier 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.

Faites un don défiscalisé, Soutenez les surligneurs Aidez-nous à lutter contre la désinformation juridique.