Affaire des assistants parlementaires du MoDem : « Je n’ai jamais signé »

Création : 18 octobre 2023

Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste

Depuis lundi, François Bayrou et dix membres du parti sont jugés pour avoir détourné des fonds du Parlement européen. Une ancienne députée assure n’avoir jamais eu connaissance des contrats passés en son nom.

François Bayrou est adossé au banc des prévenus, sourire serein sur les lèvres et plissements rieurs au coin des yeux. Au moment de l’ouverture de son procès, ainsi que celui de dix membres du Mouvement Démocrate (MoDem) pour des faits de détournement, complicité ou recel de fonds publics, ce lundi 16 octobre, il n’est pas inquiet. C’est ce que distillent des cadres du parti partout dans la presse depuis une semaine, et ce qui ressort de son interview, donnée mardi dernier à La République des Pyrénées, dans laquelle il dit avoir « placé toute sa vie politique sous l’angle de la moralisation de la vie publique ».

Après deux jours d’audience, les sourires sont plus rares. Les onze prévenus, dont Michel Mercier, ancien garde des Sceaux déjà condamné dans une affaire d’emplois fictifs cette année, l’ancien sénateur Jean-Jacques Jégou, le directeur financier du MoDem Alexandre Nardella, l’ancien secrétaire général du groupe UDF à l’Assemblée Pierre-Emmanuel Portheret, cinq anciens députés européens et un assistant parlementaire, se sont succédé à la barre. Il leur est reproché d’avoir, avec les fonds du Parlement européen, embauché des assistants pour travailler, à Paris, pour l’UDF puis le MoDem, entre 2005 et 2017. Dans le cadre de son mandat, chaque député européen dispose d’un budget de 23 392 euros mensuels pour s’entourer de collaborateurs personnels qu’il a « librement choisis« , selon la Statut des députés du Parlement européen de 2005 (article 21). Néanmoins, cette liberté a des limites : « Seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés« , comme le précisent les mesures d’application du Statut des députés (article 33).

Dénonciation opportune

Tout commence le 21 mars 2017, avec la dénonciation de Sophie Montel, alors députée européenne du Rassemblement National (RN). Depuis 2016, son parti est sous le coup d’une enquête du parquet de Paris pour avoir employé une vingtaine d’assistants parlementaires avec les fonds du Parlement européen, sans pour autant que ceux-ci n’aient réellement travaillé sur les dossiers européens. Le 20 février 2017, une perquisition a lieu au siège du RN, qui dénonce une « opération médiatique » dont « le seul but est de nuire à Marine Le Pen ». Un mois plus tard, il s’agissait donc de montrer que la fraude au contribuable européen n’est pas seulement le fait du parti, que le Ministère Public a par ailleurs renvoyé en procès le 22 septembre dernier pour ces faits.

Le 19 mai 2017, Steven Murat, un « contribuable français », reproduit un extrait de l’ouvrage de Corinne Lepage, ancienne ministre de la Transition écologique, « Les mains propres ». Elle y écrivait « Lorsque j’ai été élue au Parlement européen en 2009, le MoDem avait exigé de moi qu’un de mes assistants parlementaires travaille au siège parisien ». Le 2 juin, Matthieu Lamarre, ancien salarié du MoDem, écrit au procureur de Paris avoir été payé en partie par l’ex-eurodéputé Jean-Luc Bennahmias, qui gérait les contrats des assistants européens des députés du MoDem, en qualité de  « tiers payant ». Il n’avait pourtant effectué « aucune tâche » pour ce dernier. Mi-juillet de la même année, une information judiciaire est ouverte pour « abus de confiance », « recel », « escroquerie », ainsi que pour « détournement de fonds publics » et « recel de détournement de fonds publics ». Deux mois plus tard, le Parlement européen se porte partie civile.

Lundi 16 octobre après-midi, Didier Klethi, directeur général des finances au Parlement européen, s’est avancé à la barre. Au cours d’un interrogatoire musclé, mené tantôt par le président du tribunal, tantôt par les avocats de la défense, il s’est efforcé d’évacuer les doutes que chacun pourrait avoir. « Non », les 2500 à 3000 assistants parlementaires européens ne peuvent pas être mis au service de la « vie privée ou politique », mais sont réservés à l’exercice du mandat européen. « Oui », les députés européens sont informés de leurs droits et devoirs lorsqu’ils prennent leurs fonctions. Mais « Non », aucun contrôle n’est exercé sur le choix des députés quant à leurs assistants locaux – chargés de les assister dans leur État d’origine –, ni sur le lieu de travail que ceux-ci choisissent, puisque « les députés sont libres et indépendants » comme le rappelle le Statut des députés européens. Après avoir expliqué que la charge de la preuve des tâches effectuées revenait aux députés, il a déclaré s’en « remettre à la justice française pour rétablir les dommages aux intérêts financiers de l’Union européenne », ainsi que sa crédibilité.

« Une sorte de complot »

Ce mardi, c’est Janelly Fourtou, ancienne tête de liste de l’UDF et députée européenne entre 1999 et 2009, qui a été interrogée concernant les emplois fictifs de deux assistantes parlementaires, entre décembre 2005 et juillet 2007. Toutes deux avaient été embauchées en CDI, pour un montant total de 72 147 euros, à la charge de l’institution européenne. Auditionnée par les enquêteurs, l’une des deux assistantes, Quitterie de Villepin, avait pourtant déclaré « ne pas se souvenir d’avoir exercé un travail pour madame Fourtou ». Une version qu’a corroborée l’intéressée.

Perdue dans un large blazer kaki, l’ancienne députée européenne de 84 ans a convoqué de vieux souvenirs pour se défendre durant près de deux heures face au président. Certains détails sont flous, mais elle est formelle : elle n’a « jamais signé un contrat d’embauche pour Quitterie de Villepin », qu’elle n’a « jamais vue ». Sur le rideau blanc du rétroprojecteur de la salle d’audience, une signature à l’encre noire apparaît en bas d’un contrat conclut le 1er janvier 2005. « Vous reconnaissez votre signature ? », demande le président. « Non, ce n’est pas la mienne ». Lorsqu’on lui projette la capture d’écran d’un courriel envoyé à Alexandre Nardella au sujet de la même Quitterie de Villepin : « Ce n’est pas moi. Je ne me servais pas de mon ordinateur. Je n’aurais jamais dit “Cher Alexandre”, ni “amitiés”. Je ne le connaissais pas. » À propos d’un autre courriel, demandant une « augmentation de salaire de 5% », toujours pour l’assistante, elle répond, incrédule : « Comment aurais-je pu demander une augmentation pour quelqu’un qui ne fait rien ? ». Le MoDem aurait-il pu organiser le détournement à son insu ? « On pourrait croire qu’il y a une sorte de complot », a réagi l’avocat du parti, mis en cause dans l’affaire en tant que personne morale. Quelques minutes plus tard, il insinuera que, si elle a oublié certains faits, Janelly Fourtou pourrait bien en avoir oublié d’autres.

Ce que tout le monde a en tête, dans la salle, c’est l’une des peines encourues : un maximum de cinq ans d’inéligibilité, donc l’impossibilité de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. Au milieu du banc des prévenus, François Bayrou prend des notes.

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