Affaire des assistants du RN : tout comprendre avant le procès

Photo : Emmanuel Dunand / AFP
Création : 27 septembre 2024
Dernière modification : 1 octobre 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteurs : Etienne Merle, journaliste

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Ce 30 septembre s’ouvre le procès dit “des assistants parlementaires du Rassemblement national”. Procédure, chefs d’accusation, inéligibilité, Les Surligneurs passent en revue les enjeux d’un procès majeur.

L’automne s’annonce difficile pour le Rassemblement national. Ce 30 septembre et pour une durée de deux mois, le parti d’extrême droite et 27 de ses membres (au moment des faits) seront jugés par le tribunal correctionnel de Paris.

Les Surligneurs reviennent sur les éléments clefs autour de ce procès hors norme, qui pourrait bouleverser le paysage politique français.

Qui sont les accusés ?

Parmi les prévenus, on compte plusieurs figures politiques de premier plan, Marine Le Pen en tête. Eurodéputée au moment des faits, elle sera accompagnée de certains de ses anciens collègues comme Louis Aliot (actuel premier vice-président du RN) ou Nicolas Bay, député européen transfuge qui a rejoint Reconquête, le parti d’Éric Zemmour.

Douze personnes employées comme assistants parlementaires feront également face à la justice, comme Julien Odoul (actuel député RN de l’Yonne). Enfin, quatre collaborateurs du parti, dont des comptables et l’ancien trésorier, Wallerand de Saint-Just, sont aussi mis en cause.

Les prévenus sont, pour l’heure, mis en examen. Cela signifie qu’un juge d’instruction indépendant, qui a enquêté à charge et à décharge, estime qu’il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles [les personnes mises en examen, ndlr] aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi », selon les termes de l’article 80-1 du Code de procédure pénale.

Tous contestent les faits et bénéficient de la présomption d’innocence, au nom de ce même code.

Et Jordan Bardella ?

D’après le journal Libération, le nom de l’actuel président du Rassemblement national, Jordan Bardella, avait été cité dans le dossier pour un poste d’assistant parlementaire de l’eurodéputé Jean-François Jalkh pendant quelques mois en 2015.

Pour autant, il n’est pas poursuivi dans le cadre de cette affaire et n’aurait jamais été convoqué ni par la police, ni par les juges.

Dans un livre, paru le 13 septembre 2024, le journaliste de Libération, Tristan Berteloot, affirme que Jordan Bardella aurait réalisé de faux documents dans le but de fabriquer de fausses preuves d’un travail qu’il n’a semble-t-il jamais effectué à l’époque, ce que le jeune président du RN conteste en bloc.

De quoi sont-ils accusés ?

La justice soupçonne le Rassemblement national d’avoir organisé un vaste système de détournement de fonds européens entre 2004 et 2016. Les salaires des assistants parlementaires européens — payés par l’Europe — auraient en réalité servi à financer des travaux pour le parti, en France.

Dans la presse, il est courant d’entendre parler de l’affaire des “emplois fictifs” des assistants parlementaires du Rassemblement national, mais la dénomination n’est pas exacte.

Le délit ‘d’emploi fictif’ n’existe pas. En droit, ce n’est pas une infraction, précise Farah Zaoui, fondatrice du cabinet Probitas, spécialisé dans la prévention de la corruption. Ce terme journalistique est utilisé pour parler de détournement de fonds publics. La distinction est importante, car on ne parle pas forcément d’un emploi qui n’existe pas. La question, c’est la finalité de la dépense : les fonds publics européens ont-ils été dépensés pour rémunérer les activités politiques pour lesquelles ils étaient versés ?

Ainsi, trois chefs d’accusation différents ont été retenus par la justice selon les cas de figure des prévenus dans ce procès : détournement de fonds publics (article 432-15 du Code pénal), complicité (article 121-7 du Code pénal) de détournement de fonds publics et recel (article 321-1 du Code pénal) de détournement de fonds publics.

Que risquent les prévenus ?

Les infractions pour lesquelles les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel sont punies d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros ou du double du produit de l’infraction pour le détournement de fonds publics, sa complicité et son recel.

Si la peine encourue pour l’infraction est considérable, l’enjeu politique de ce procès réside ailleurs. La grande question est : y aura-t-il des peines d’inéligibilité ? demande Elsa Foucraut, formatrice en déontologie et spécialiste de la lutte contre la corruption. Dans cette affaire juridique de longue haleine, ce sont des enjeux politiques très importants.

L‘inéligibilité à un mandat électif est une peine complémentaire obligatoire, inscrite à l’article 131-26-2 du Code pénal.Depuis la loi sur la confiance dans la vie politique de 2017, le tribunal est tenu de la prononcer à l’encontre d’un élu condamné pour un fait d’atteinte à la probité, note Béatrice Guillemont, chercheure associée en droit public à l’université Bordeaux et secrétaire générale de l’Observatoire de l’éthique publique. S’il ne souhaite pas la prononcer, il doit le justifier par une décision spécialement motivée.”

Ainsi, Marine Le Pen risque-t-elle de ne pas pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2027 si elle est condamnée ? Difficile à dire.

En effet, une fois le jugement rendu, les personnes qui auraient été condamnées pourront faire appel de la décision. Or, cet appel est dit suspensif. Cela signifie qu’il suspend la condamnation le temps qu’un second jugement soit prononcé.

« Pour autant, il existe un exemple récent pour laquelle la peine d’inéligibilité a été prononcée avec exécution provisoire [article 471 alinéa 5 du Code de procédure pénale]« , nuance Béatrice Guillemont. C’est ce qui est arrivé, en 2021, à la maire de Montauban (Tarn-et-Garonne). L’édile a été reconnu coupable de détournement de fonds publics par le tribunal correctionnel de Toulouse pour laquelle les peines ont été prises avec effet immédiat.

Si une telle décision devait être rendue dans le cadre de ce procès, les condamnés auraient interdiction de se présenter à une élection.

Affaire de gros sous

Outre l’amende, la peine d’emprisonnement, la peine complémentaire d’inéligibilité, les prévenus doivent aussi faire face aux possibles réparations. Le Parlement européen s’est constitué partie civile dans cette affaire, ce qui signifie qu’il se présente comme victime. L’institution européenne a estimé son préjudice global à 6,8 millions d’euros.

Depuis le début de l’affaire, le Parlement européen a tout de même déjà récupéré une partie des sommes pour lesquelles il estime avoir été lésé par l’ancienne eurodéputée, Marine Le Pen.

D’après Mediapart, les services financiers du Parlement européen ont commencé à récupérer la somme à partir de février 2017 en ponctionnant sur les indemnités de Marine Le Pen lorsqu’elle était encore élue à Bruxelles, puis en menaçant d’actionner un “recouvrement forcé sur base d’une décision exécutoire”.

En tout, le Parlement européen aurait obtenu la retenue de 1 million d’euros sur les aides publiques versées au Rassemblement national, un ‘montant qui excède largement les sommes réclamées’ à Marine Le Pen, selon son avocat. Mais qui reste en deçà du préjudice réclamé par le Parlement européen pour l’ensemble des prévenus.

Comment en est-on arrivés là ?

Tout débute avec une enquête de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) en 2014 après un courrier anonyme alertant sur des cas de conflits d’intérêts et d’emplois fictifs présumés dans les rangs du Front national (devenu depuis le Rassemblement national), selon Mediapart qui révèlera l’affaire. “LOlaf est un hybride, c’est un service de la Commission européenne et elle est indépendante statutairement, explique Julien Walther, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Lorraine. Elle a une compétence disciplinaire quant à la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Cet office a réalisé deux rapports sur les soupçons de détournement de salaires des assistants parlementaires de l’eurodéputée, Marine Le Pen, et son parti.

Parallèlement, en 2015, le président du Parlement européen, Martin Schulz, fait un signalement auprès de la justice française pour des soupçons portant sur plusieurs eurodéputés et leurs utilisations de l’enveloppe budgétaire dédiée aux salaires de leurs assistants parlementaires.

Jean-Marie Le Pen, ancien eurodéputé, ne sera pas présent au procès car son état de santé dégradé ne le permet pas. (Photo : John Thys / AFP)

 

En décembre 2016, une information judiciaire est ouverte pour “abus de confiance”, “recel d’abus de confiance”, “escroquerie en bande organisée”, “faux et usage de faux” et “travail dissimulé” commis entre 2010 et 2016. D’après Mediapart, les policiers de l’Office anticorruption (OCLCIFF), chargés de l’enquête, récoltent alors des documentsaccablants.

Marine Le Pen et les autres prévenus seront mis en examen en 2017 pour ces faits avant qu’ils soient requalifiés en détournement de fonds publics, ainsi que recel et complicité de détournement de fonds publics.

En 2019, le Parlement européen avait levé l’immunité parlementaire de deux eurodéputés, Jean-Marie Le Pen et Dominique Bilde, à la demande des juges parisiens qui instruisaient le dossier.

Après une instruction judiciaire qui a duré huit ans, les juges d’instruction français ont confirmé les réquisitions du parquet de Paris et demandé le renvoi devant le tribunal correctionnel en décembre 2023.

 

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