Crédit : Jacques Paquier (CC BY 2.0 - Photo modifiée)

Affaire « Bismuth » : Nicolas Sarkozy a-t-il été condamné pour un simple coup de « piston » ?

Création : 31 décembre 2024

Auteur : Etienne Merle, journaliste

Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte Facebook, le 19 décembre 2024

Après la confirmation de la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite « des écoutes téléphoniques », des éditorialistes et des internautes se sont émus de la décision de la Cour de cassation. Beaucoup semblent croire que l’ancien chef de l’État a été condamné pour un simple coup de « piston ». Ce n’est pas ce que disent les décisions de justice.

À chaque nouveau jugement, les mêmes indignations. Le 18 décembre dernier, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de Nicolas Sarkozy pour « trafic d’influence » et « corruption » dans l’affaire dite « Paul Bismuth » ou « des écoutes téléphoniques ».

Une condamnation historique pour un président de la République qui choque bon nombre d’internautes, mais également des éditorialistes, à l’instar d’Élisabeth Lévy, chroniqueuse et directrice du magazine réactionnaire Causeur.

Le 19 décembre dernier, dans un éditorial publié dans son magazine et sur Sud Radio, elle s’émeut des décisions judiciaires qui visent l’ancien président de la République : « La Cour de cassation, de soi-disant sages qui appliquent le droit, confirme une condamnation délirante », attaque-t-elle.

« Il aurait envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Donner un coup de main à quelqu’un, dans la vie d’un homme de pouvoir, cela se fait tous les jours […] sauf qu’il n’y a pas eu de piston, ni de commencement supposé d’exécution. Il est donc condamné pour une intention. Et pourquoi pas pour une pensée ? », s’agace-t-elle.

Mais la réalité du droit et des faits est bien éloignée des conclusions de l’éditorialiste.

De quoi parle-t-on ?

Pour comprendre, il est nécessaire d’en revenir aux accusations dont ont fait l’objet les trois protagonistes de cette affaire. En 2014, se sachant mis sur écoute téléphonique dans l’affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog mettent en place une ligne sous un nom d’emprunt : Paul Bismuth.

Ce qu’ils ne savent pas en revanche, c’est que cette ligne va également être écoutée par les agents qui enquêtent sur ce financement libyen supposé. Et c’est ainsi que naît l’affaire Paul Bismuth.

Car, dans leurs échanges sur cette ligne qu’ils pensent sécurisée, ils discutent d’un autre dossier : l’affaire Bettencourt. Si Nicolas Sarkozy venait d’obtenir un non-lieu pour abus de faiblesse un an plus tôt dans ce dossier, il est soucieux d’obtenir de la Cour de cassation la restitution de ses agendas présidentiels.

Son avocat lui propose alors l’intervention d’un haut magistrat, Gilbert Azibert, pour qu’ils s’approchent de ses connaissances auprès de l’une des plus hautes juridictions françaises. En échange de ses services, l’ancien chef de l’État et son avocat veulent aider le magistrat à obtenir une nomination pour un poste de prestige à Monaco.

Simple coup de piston ?

Parmi les arguments avancés par les défenseurs de Nicolas Sarkozy : l’ancien président aurait simplement tenté de recommander une bonne connaissance pour qu’il obtienne un poste. À les croire, cette pratique s’apparenterait à un coup de piston, un peu comme lorsque l’on contacte un ami pour qu’il accepte son enfant en stage de troisième dans son entreprise.

Or, selon les juges, dans cette affaire, il ne s’agit pas d’une simple recommandation, mais plutôt d’un deal clandestin, ce que l’on appelle un pacte de corruption. Car, selon eux, en échange de cette promesse de poste prestigieux, Nicolas Sarkozy espère obtenir des informations illégales sur une procédure en cours qui le vise.

C’est ce que les juges ont retenu : « La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants résultant des liens très étroits d’amitié noués entre les protagonistes, des relations d’affaires renforçant ces liens, M. Thierry Herzog étant l’avocat de M. Nicolas Sarkozy, des intérêts communs tendant vers un même but, celui d’obtenir une décision favorable aux intérêts de M. Nicolas Sarkozy, et des écoutes téléphoniques démontrant les actes accomplis et la contrepartie proposée », écrivaient, en première instance, les juges du tribunal correctionnel de Paris en 2019, cité par Mediapart. Pour caractériser l’infraction, il importe peu que les informations obtenues en application de ce pacte aient été utiles.

De ce « pacte de corruption » découlent deux infractions pénales : le délit de corruption et le délit de trafic d’influence. Le premier est puni d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende. Le second est puni d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende. Ces deux délits, les juges ne les sortent pas de leur chapeau. Le délit de corruption est inscrit dans le Code pénal depuis 1810 et celui de trafic d’influence depuis 1889.

En revanche, l’ancien chef de l’État continue de clamer son innocence : « Je veux redire ma parfaite innocence et demeure convaincu de mon bon droit. Ma détermination est totale sur ce dossier comme sur les autres. La vérité finira par triompher », a-t-il écrit sur le réseau social X, annonçant qu’il va saisir la Cour européenne des droits de l’Homme, l’ultime recours à sa disposition.

Condamné pour une intention ?

Autre argument avancé pour mettre en cause la décision de justice : le haut magistrat, Gilbert Azibert, n’aurait pas été nommé à Monaco. Ce qui fait dire à Élisabeth Lévy que l’ancien chef de l’État a été condamné pour une « intention ». Mais c’est en fait beaucoup plus compliqué.

Pour caractériser les délits de corruption et de trafic d’influence, la simple intention ne suffit pas. Il est nécessaire que le pacte de corruption soit conclu, ce qui consomme le délit. Il faut également que les accusés aient conscience de commettre un acte illégal.

« Il [Nicolas Sarkozy] s’est servi de son statut d’ancien président de la République et des relations politiques et diplomatiques qu’il a tissées alors qu’il était en exercice pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel. Au surplus, M. Nicolas Sarkozy a la qualité d’avocat et était donc parfaitement informé des obligations déontologiques de cette profession », ont ainsi écrit les juges du tribunal correctionnel dans leur jugement.

Par ailleurs, le fait que le magistrat Gilbert Azibert n’a pas eu sa promotion à Monaco ne signifie pas non plus que Nicolas Sarkozy a été condamné « pour des faits qui n’ont jamais eu lieu », comme l’a par exemple affirmé le présentateur Pascal Praud sur CNews. De la même manière, peu importe que Gilbert Azibert n’ait pas exercé une influence véritable.

Ainsi, les juges de la Cour d’appel ont retenu que « peu importe que [Monsieur Azibert] ait réellement influencé ou cherché à influencer les conseillers siégeant dans la formation appelée à connaître du pourvoi Bettencourt, il suffit qu’il l’ait fait croire à [Monsieur Herzog], ce que démontrent les écoutes téléphoniques, pour que son influence soit supposée et le délit de trafic d’influence caractérisé ».

Enfin, l’ancien chef de l’État et son avocat ont bien eu accès, de manière illégale, à certaines informations grâce à l’aide de leur ami de circonstance. Il leur apprend, par exemple, l’existence du vif intérêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République pour l’exploitation du contenu de ces précieux agendas dans la procédure visant Christine Lagarde dans l’affaire de l’arbitrage Tapie.

S’il est tout à fait possible de s’émouvoir de cette condamnation, reste qu’il est essentiel de le faire en s’appuyant sur une base factuelle solide, au risque de tomber dans la désinformation.

 

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