Crédits photo : Cancillería del Ecuador (CC 2.0)

Accord LFI-EELV : “la désobéissance (européenne) ne peut se faire que dans le respect de l’État de droit”

Création : 6 mai 2022
Dernière modification : 28 septembre 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : Communiqué LFI-EELV, 2 mai 2022

Désobéir au droit européen tout en respectant l’État de droit alors que le droit européen fait partie de l’État de droit, est une absurdité juridique. Surtout, les juridictions françaises ne laisseront pas faire.

Accouché en très peu de temps, l’accord LFI-EELV pour les élections législatives prévoit explicitement que la France ne respectera pas “certaines” règles européennes, en y assortissant une liste entre parenthèses : “(les règles) économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations productivistes et neolibérales de la Politique Agricole Commune etc.”. Si on prend en compte le “etc.”, il ne reste plus grand-chose de la construction européenne, mais restons dans le droit : lorsqu’un simple citoyen désobéit à la règle de droit, cela s’appelle une infraction. Mais lorsqu’un gouvernement désobéit, c’est une illégalité au mieux, de l’arbitraire au pire. Et aucun juge interne ne laissera faire.

Une autorité qui désobéit viole nécessairement l’État de droit et commet une illégalité

L’État de droit est l’ossature de la démocratie : l’autorité publique (et donc le gouvernement) ne peut en principe agir qu’en vertu d’un texte, c’est ce qui protège le citoyen contre les excès d’autorité et donc les atteintes aux libertés. Parmi ces textes, la Constitution, la loi, le règlement, mais aussi les textes européens, qui confèrent des droits et obligations à tous les citoyens européens. Et notre Constitution confère aux traités internationaux (dont le droit de l’Union, avec même un statut renforcé) une valeur supérieure à celle des lois. Donc, l’État de droit suppose que l’État respecte le droit de l’Union.

Sinon ? Nous avons déjà longuement expliqué les risques de sanctions que prendrait un gouvernement LFI-EELV-PS-PC à se soustraire aux obligations européennes de la France, et les exemples existent déjà. Mais il y a un autre risque passé sous silence : toute autorité qui “désobéit” se place dans l’illégalité. 

Pour comprendre, il faut avoir en tête plusieurs éléments. D’abord, le citoyen français ne subit pas que des contraintes européennes. Il bénéficie aussi des règles européennes, par exemple, le droit d’étudier, d’exercer sa profession, de voyager partout dans l’Union, ou encore les diverses protections des libertés telles que le RGPD qui protège nos données personnelles, ou la protection des consommateurs. Par exemple, un infirmier français peut librement aller travailler en Suède, et inversement. Ensuite, le juge français fait respecter ces droits. Depuis 1989, le Conseil d’État “écarte”  toute loi contraire aux traités européens (c’est-à-dire qu’il ne l’applique pas). La Cour de cassation l’avait déjà dit en 1975. Enfin, tout citoyen français ou européen peut aller devant le juge français et demander à écarter toute loi française contraire au droit européen, ou annuler tout acte administratif (décret, arrêté, autorisation, subvention, refus d’autorisation) contraire au même droit.

Le juge n’aime pas les illégalités, sa mission est de les neutraliser 

La manière dont cette “désobéissance” est présentée par la nouvelle coalition a quelque chose d’irréel, presque magique ! Mais c’est au contraire très concret. Pour appliquer une directive européenne par exemple, il faut des lois et décrets français. Pour refuser de l’appliquer, il faut aussi des lois et décrets, mais qui s’en écartent. Et même en cas de “désobéissance passive”, par exemple en refusant de prendre une loi ou un décret pour appliquer une directive contraire au programme de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), c’est aussi un acte juridique. Or tous ces actes juridiques sont contrôlés par le juge interne (c’est-à-dire français), pas seulement par le juge européen.

Tout cela n’a rien de théorique, c’est du quotidien. Chaque jour, les juges internes annulent des décrets, arrêtés, mais aussi des autorisations ou refus d’autorisation, etc. (par exemple l’infirmier suédois qui se verrait refuser l’autorisation de travailler en France, obtiendrait l’annulation du refus et même une indemnisation). Régulièrement les juges internes écartent des lois contraires au droit européen. Mieux, depuis 1999, le juge interne peut ordonner au gouvernement d’enfreindre la loi française pour faire respecter le droit européen.  

En somme, imaginons une coalition LFI-EELV-PC-PS majoritaire à l’Assemblée nationale, qui voterait une loi reconstituant un monopole postal, ferroviaire, de l’électricité, etc., ou qui interdirait les camionneurs polonais : n’importe quel citoyen européen (pas seulement français) pourrait demander au juge français d’écarter cette loi.

Il faudra donc contourner le juge !

Alors, question : comment la coalition en question compte-t-elle contourner cet obstacle bien plus immédiat que les sanctions européennes ? Car si la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne peuvent mettre des mois voire des années à réagir face à une “désobéissance”, comme pour les cas polonais ou hongrois, le juge interne peut, en référé, empêcher l’application d’un texte ou de tout acte contraire au droit européen, en quelques semaines voire en quelques jours.

Deux remarques pour conclure : d’abord, l’accord LFI-EELV mentionne explicitement que les valeurs de l’article 2 du traité sur l’Union européenne doivent être préservées, une référence pour dire que non, nous ne sommes ni la Pologne ni la Hongrie. Mais parmi les valeurs de l’article 2, il y a… l’État de droit. Ensuite, l’accord LFI-PS conclu plus récemment encore prend en compte une divergence : “nous parlons de désobéir pour les uns, de déroger de manière transitoire pour les autres”. Mais déroger sans y être autorisé, c’est désobéir.

Contactées, les équipes de LFI et EELV n’ont pas répondu à nos sollicitations.

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