Abbé Pierre : pourquoi enquêter sur un mort que l’on ne peut pas condamner ?
Auteur : Paul Morris, élève-greffier
Relecteurs : Etienne Merle, journaliste
Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, université de Lorraine
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Alors que l’abbé Pierre fait l’objet de nouvelles accusations d’agressions sexuelles, le président de la Conférence des évêques de France a annoncé, le 17 janvier dernier, avoir saisi le procureur de la République. Malgré la mort du principal concerné, certaines actions, au pénal comme au civil, peuvent encore être possibles.
Une annonce purement symbolique ? Vendredi dernier, le président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, déclarait avoir saisi le procureur de la République de Paris en vue d’ouvrir une enquête judiciaire sur l’abbé Pierre. Cette démarche survient à la suite de nouvelles accusations d’agressions sexuelles, dont notamment celle d’un viol sur mineur.
L’initiative peut toutefois sembler singulière en raison du décès de l’abbé Pierre en 2007. Si la justice venait à ouvrir une enquête, elle ne pourrait pas le faire condamner. Elle ne serait pas pour autant dépourvue d’utilité tant sur le volet civil que sur le volet pénal. Explications.
Le décès : fin de l’action publique
L’article 6 du Code de procédure pénale précise expressément que « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée ». Ainsi, et quels que soient les faits qui auraient été commis par l’abbé Pierre, ceux-ci ne peuvent faire l’objet de poursuites pénales en raison de l’extinction de l’action publique. Autrement dit : on ne condamne pas un mort.
Mais l’enquête s’intéresse à des faits. Et bien qu’ils soient reprochés à l’abbé Pierre, d’autres personnes peuvent être concernées.
Quel sort pour les éventuels complices ?
Les enquêteurs pourraient donc avoir, par exemple, à déterminer si d’autres victimes existent, mais également si d’autres personnes étaient au courant des faits et se sont tues. Il existe en effet une infraction de non-dénonciation, mais, au regard de l’ancienneté des faits, la prescription serait certainement acquise.
Si une enquête judiciaire ne permettrait de mener à la condamnation de l’abbé Pierre, elle pourrait offrir aux victimes une réparation par le biais de l’action civile. Toutefois, l’action civile ne peut pas être exercée devant les juridictions pénales si l’action publique est éteinte. À supposer que l’action en réparation des dommages ne soit pas elle-même prescrite.
Est-ce qu’une indemnisation pourrait être demandée auprès d’une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi) ? Rien n’est moins sûr, et ce, à nouveau, à cause de l’ancienneté des faits. Ainsi, même si l’auteur des infractions est mort, il n’est pas certain qu’une indemnisation soit possible.
D’un point de vue purement civil, si l’action en réparation est engagée devant le juge civil, le délai de prescription est de dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé (c’est-à-dire du moment où le dommage n’est plus susceptible d’évoluer), voire de vingt ans en cas de préjudice causé par des agressions sexuelles commises contre un mineur.
Pour des faits anciens qui ont causé un dommage qui s’est consolidé tardivement — ce qui peut être le cas pour un dommage psychologique — l’action en réparation du préjudice subi n’est donc pas nécessairement prescrite. La Cour de cassation a déjà admis une telle action pour des faits commis dans les années 70.
Plusieurs réflexions ont été menées dans ce sens, notamment dans le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. En conclusion, même si le décès de l’abbé Pierre empêche qu’il puisse être condamné après sa mort, l’enquête ouverte n’est pas forcément dépourvue de toute utilité pour les personnes concernées.
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