Crédit photo : DerHexer, Wikimedia Commons (CC 4.0)

Non, toutes les lois promulguées après 1848 ne sont pas invalides

Création : 12 juillet 2024
Dernière modification : 15 juillet 2024

Autrice : Lili Pillot, Journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille

Source : Compte Facebook, le 21 juin 2024

Selon plusieurs internautes, ce ne serait pas aux élus de promulguer les lois, mais au roi de France, remettant en cause une réforme de l’article 1 du Code civil en 2004. Ainsi, à les croire, tous les textes adoptés depuis 1848 seraient invalides.

“Pas de roi, pas de loi” ? C’est la version “pas de bras, pas de chocolats” des citoyens souverains. Sur les réseaux sociaux, de nombreux contenus complotistes remettent en cause l’entièreté des lois adoptées depuis 1848, y compris la Constitution de la 5ᵉ République. Selon eux, puisque ces lois “n’ont pas été promulguées par le Roi”, alors elles ne sont pas applicables, elles sont invalides. « Juridiquement, la France est toujours une royauté”, indique l’un d’entre eux.

Cette théorie, liée à la mouvance des citoyens souverains et de la fraude du nom légal, se base sur une lecture erronée de l’actuel article 1 du Code civil qui statue sur la manière dont sont promulguées les lois. Selon les adeptes de cette pensée, la version réformée en 2004 serait invalide et seule une des versions antérieures, qui donnait pouvoir au Roi sur cette étape du processus législatif, serait valable. 

Les Surligneurs proposent de vous expliquer cette théorie juridique, porté par un avocat proche des mouvances complotistes et de l’extrême droite. 

“Petite réformette de 2004”

Quel est le problème de ce fameux article 1 du Code civil ? Selon les tenants de cette théorie, l’ancienne version, celle qui devrait être en vigueur et qui incluait l’autorité du Roi, a été usurpée par la nouvelle adoptée en 2004. 

Cet article concerne la manière dont sont promulguées les lois après leur adoption. Avant 2004, il disposait que “Les lois sont exécutoires dans tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Roi”. La plus ancienne version, adoptée en 1804, faisait, elle, mention du “Premier Consul”, nous indique Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public qui travaille actuellement sur la mouvance des citoyens souverains.

Depuis 2004, l’article 1 du Code civil dispose que “les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication.”. Sur le site de Légifrance, on peut voir que cet article a été modifié par une ordonnance de février 2004, adoptée par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. 

Mais cette nouvelle version, certains ne l’acceptent pas. Justement parce que la réforme n’a pas été adoptée par le Roi. “Ils considèrent que la modification par ordonnance de 2004, qui relève du pouvoir réglementaire, n’est pas valable”, explique le chercheur. 

En effet, Maître Philippe Fortabat Labatut – connu pour avoir été l’avocat du ravisseur de la petite Mia et qui se fait la caution scientifique de cette théorie – remet clairement en cause la validité de cette réforme. “L’article 1er du Code civil français dit explicitement que les lois doivent être promulguées par le Roi et ce n’est pas une petite réformette de 2004 non promulguée validement 2004 (sic) qui change quoi que ce soit”, explique-t-il dans une lettre adressée au roi de Malaisie et citée par Conspiracy Watch

La Constitution de 1958, invalide ?

Sauf qu’au-dessus du Code civil, un autre texte beaucoup plus important statue du pouvoir du président de la République pour promulguer les lois, et non du Roi : la Constitution de 1958. “La Constitution a valeur supérieure au Code civil, donc de fait, le Code civil a moins valeur de loi que la Constitution”, précise Sacha Sydoryk.

À son article 10, elle précise que “le président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.”. Donc, a priori, la question de savoir si le président est compétent pour promulguer les lois ne se pose plus. 

Mais là encore, les citoyens souverains ont trouvé une parade. Pour eux, la Constitution de 1958 n’est pas valide. Dans une interview au média complotiste Esclave Horror Story, anciennement Dajjal Magazine, l’avocat Philippe Fortabat Labatut déroule son argumentaire : “D’où vient cette constitution ? Elle vient d’un référendum. Une fois votée, il fallait qu’elle soit promulguée”.  Et donc, pour l’avocat, le texte constitutionnel de 1946 est tout aussi invalide puisqu’il a été “adopté par un gouvernement de fait » (celui de De Gaulle). 

Argument irrecevable selon Sacha Sydoryk : “La Constitution de 1946 est valide parce qu’elle a été adoptée par le peuple via un référendum”.  

En résumé, les citoyens souverains ne reconnaissent pas la valeur juridique des deux textes qui ont réformé la façon de promulguer les lois, justement parce que ces textes n’ont pas été promulgués par le Roi. C’est le serpent qui se mord la queue. 

[Contenu modifié le 15/07/2024 : remplacement des mots « illégales » et « illégaux » par « invalides » et « légale » par « valide »]

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