Xavier Bertrand désigne le président de la République comme “seul responsable” des incidents intervenus au Stade de France le 28 mai dernier

Création : 9 juin 2022
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Charles Denis, rédacteur

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction: Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Source : BFMTV, 2 juin 2022, 12’

À la suite des incidents survenus aux abords du Stade de France en marge de la finale de la Ligue des Champions, les accusations fusent contre l’exécutif. Mais désigner le président de la République comme seul responsable politique au détriment de ses ministres ne semble pas correspondre à une réalité juridique.

Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, s’est exprimé sur les incidents intervenus au Stade de France le 28 mai dernier, où les forces de police ont géré avec brutalité les foules aux abords du stade. Il a pu désigner à cette occasion le président de la République comme “seul responsable” dans la mesure où le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ne ferait que dépendre des décisions prises par l’Élysée. Si ces propos relèvent vraisemblablement du discours politique et d’une rhétorique évidemment polémique, ils sont faux en droit. 

L’irresponsabilité politique du président de la République…

Sous la Vème République, le chef d’État peut aisément être considéré comme “la clé de voûte” du régime, pour ainsi reprendre les mots de l’un des pères de la Constitution de 1958, l’ancien Premier ministre Michel Debré. Néanmoins, un grand pouvoir ne semble pas ici impliquer de grandes responsabilités, le président de la République jouissant d’une irresponsabilité politique très large. 

À l’origine, l’article 68 de la Constitution ne prévoyait une éventuelle mise en jeu de la responsabilité du président par les deux chambres parlementaires qu’en cas de haute trahison. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, il ne peut être destitué par le Parlement constitué en Haute Cour qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat. La formulation semble donc moins restrictive et dilue la coloration pénale de la haute trahison, mais la procédure reste particulièrement lourde. La majorité des deux tiers du Parlement est requise, et dans un système où la majorité à l’Assemblée nationale est le plus souvent de la même couleur politique que celle du président, il faut des faits d’une gravité telle que sa propre majorité se retournerait contre lui. 

En outre, les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité du chef d’État par le peuple apparaissent faibles voire inexistants. Aucun n’a cru devoir démissionner après des élections législatives défavorables au camp qui l’avait porté au pouvoir, ce qui pourrait – hypothèse relativement faible – arriver à Emmanuel Macron lors des élections législatives. 

… compensée par celle des membres du Gouvernement 

Si le président de la République jouit d’une telle irresponsabilité politique, c’est notamment parce que les membres du Gouvernement sont responsables devant l’Assemblée nationale. Cette responsabilité pourra être engagée par les députés selon des procédures distinctes et est en général collective, comme ce fut le cas en 1962 lorsque les députés renversèrent le Gouvernement Pompidou en réaction à une réforme voulue  par le général de Gaulle. Seul le premier étant responsable, c’est à son égard que l’Assemblée nationale a manifesté son mécontentement. 

Mais Emmanuel Macron peut toujours, à la demande d’Elisabeth Borne ou sur sa propre insistance, changer un ministre qui aurait perdu la confiance de la majorité ou du président de la République. Par exemple, la ministre de l’écologie Delphine Batho avait été poussée vers la sortie par François Hollande à la suite de propos critiques sur le projet de budget 2014. 

La Constitution prévoit en effet que le président de la République nomme et démet de leur fonction les membres du Gouvernement sur proposition du Premier ministre. Il établit ainsi une autre forme de responsabilité gouvernementale se jouant cette fois-ci devant le chef d’État. Emmanuel Macron pourrait donc très bien pousser Gérald Darmanin à présenter sa démission.

On comprend bien la critique du président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand, qui rappelle en creux qu’un président omniprésent doit pouvoir répondre de ses actes. C’est toute l’ambiguïté – ou la force – de la Vème République : un président fort et irresponsable, et un Gouvernement qui joue le rôle de fusible. En droit, c’est donc bien le Gouvernement qui est responsable devant l’Assemblée, et non le chef d’État, responsable quant à lui devant l’opinion ou « envers le pays » comme l’avait dit sous d’autres cieux constitutionnels l’ancien président de la République Patrice de Mac Mahon pour justifier la dissolution du 16 mai 1877. Mais les rapports de forces étaient alors bien différents de ce qu’ils sont sous la Vème République. 

Contacté, Xavier Bertrand n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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