Le Syndicat Sud Santé commentant la fermeture des urgences au CHU de Bordeaux : c’est un “tri des patients à l’entrée”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah
Source : 20 minutes, 17 mai 2022
Créer un circuit d’admission aux urgences pour tous les patients adultes ne signifie pas “trier” les patients. Mais si la réorganisation destinée à pallier la pénurie devait faire des victimes pour prise de risque au détriment des patients, alors il faudrait indemniser.
Pour faire face à la pénurie de personnels soignants, les urgences du CHU de Bordeaux seront désormais fermées la nuit pour les adultes, qui ne pourront y accéder qu’en passant par le Samu Centre 15. Interrogé par 20 minutes sur cette fermeture des urgences, qui touche plusieurs établissements de santé de la région, le Syndicat Sud Santé a déploré une réorganisation qui touche une “population en détresse” par manque de moyens, et dénoncé un “tri des patients adultes à l’entrée”.
Créer un circuit d’admission aux urgences n’est pas trier…
C’est faux en droit. La réorganisation des urgences telle qu’elle a été annoncée par l’Agence régionale de santé (ARS) correspond à la mise en place d’un circuit pour être admis aux urgences, qui passe par le centre 15, afin d’éviter les entrées injustifiées de personnes qui auraient dû passer par la médecine de ville (ce qui a toujours été le cas), mais aussi pour faire face à la pénurie de personnels soignants.
Lorsqu’une ressource (comme les soins d’urgence) se fait rare, et que cette rareté n’est pas surmontable à brève échéance, il faut en réguler la consommation, tout en maintenant l’égalité : en l’occurrence, tous les adultes sont concernés par cette mesure, il n’y a pas de tri des patients comme on a pu en voir durant les pics de pandémie de Covid-19. Les enfants restent admis sans passer par le 15, parce qu’ils ne sont pas dans la même situation. Au contraire, si l’ARS n’avait pas pris cette mesure, elle serait responsable : si par exemple une personne admise aux urgences venait à décéder faute de personnels suffisants pour assurer sa prise en charge, ses proches seraient fondés à demander une indemnisation devant le tribunal administratif. Il n’y avait donc pas, à court terme, d’autre solution, mais ce raisonnement a ses limites.
… Mais cela peut faire des victimes, qu’il faudra indemniser
La continuité du service public hospitalier implique, selon la loi, “un accueil adapté… et un délai de prise en charge en rapport avec l’état” de la personne, ainsi qu’une “permanence des soins” organisée par l’ARS. Mais il n’est nulle part écrit qu’un hôpital doit fonctionner en “portes ouvertes” 24 heures sur 24. Des urgences non organisées créeraient ou aggraveraient la pagaille, au détriment des patients. Pour autant, il y a des limites à la rationalisation des soins d’urgence.
D’abord, si une personne en péril se présente aux urgences la nuit, il est hors de question pour les personnels de l’éconduire en lui demandant de passer par le 15. Ce serait une non-assistance à personne en péril (et donc un délit), et contraire à la déontologie des personnels soignants (ce qui peut valoir la radiation de l’ordre des médecins ou des infirmiers par exemple).
Ensuite, l’ARS ne peut mettre en place une réorganisation qui présenterait manifestement (c’est le terme employé par le juge) trop de risques pour la population, et serait donc contraire au droit à l’accès aux soins (ce droit dérive du droit constitutionnel à la protection de la santé). La question s’est déjà posée à propos des regroupements de maternités, qui impliquaient d’en fermer certaines : le tribunal administratif de Nîmes avait en 2009 ordonné à l’ARS de rouvrir une maternité à Valréas en raison de l’éloignement excessif (40 km) du seul établissement qui restait apte à prendre en charge les femmes sur le point d’accoucher de cette ville et de son agglomération en cas de complication. De façon plus générale, une réorganisation par regroupements d’établissements suppose toujours plus de transferts de patients (par ambulance voire par hélicoptère), et fragilise la chaîne des soins, la mettant à la merci du moindre accroc, comme cela se produisait aux Antilles : en tablant sur les transferts inter-îles par hélicoptère, l’ARS avait fermé plusieurs établissements de santé pour les regrouper, mais elle n’avait pas anticipé les cas de mauvaise visibilité aérienne, empêchant tout transfert… L’État fut condamné à indemniser la victime d’un retard de prise en charge parce que l’hélicoptère dut attendre le jour pour décoller.
Et pour finir sur ce point justement, il faut aussi raisonner en aval : une nouvelle organisation est mise en place, et la pratique montre des carences aux conséquences directes sur certains patients dont la prise en charge n’a pas été suffisamment rapide au vu de leur état. Par exemple, un adulte à Bordeaux qui a besoin de soins d’urgence la nuit, qui s’adresse au 15 au lieu d’aller directement aux urgences, peut subir un retard excessif de prise en charge. Il en résulterait un préjudice aggravé voire un décès. Dans ce cas le juge peut estimer, au cas par cas, qu’il s’est produit ce qu’il appelle une “perte de chance” de guérison ou de survie. Si c’est le cas, il condamnera l’hôpital ou l’État à indemniser.
Contacté, le Syndicat Sud Santé n’a pas répondu à nos sollicitations.
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