Crédits photo : Foundations World Economic Forum (CC 2.0)

Emmanuel Macron et McKinsey : « Que quiconque a la preuve qu’il y a manipulation mette le contrat en cause au pénal »

Création : 31 mars 2022
Dernière modification : 4 juillet 2023

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Yeni Daimallah

Ajout de l’identité du relecteur le 30 mai 2023 en raison de la mise en conformité avec l’article 2. 2. K du Code européen de fact-checking 

Source : FranceInfo, 27 mars 2022

Ne pas détourner le débat. Ce n’est pas une affaire de forme, mais de fond : on peut très bien gaspiller énormément d’argent public tout en respectant les règles de procédure.

Le candidat Emmanuel Macron défendait face à la presse le président éponyme, chahuté en raison du recours massif aux cabinets de conseil, en particulier McKinsey : « on a l’impression qu’il y a des combines, mais c’est faux (…). Aucun contrat n’est passé dans la République sans qu’il respecte la règle des marchés publics ». « Sinon c’est du pénal : article 40 !« , ajoutait-il, faisant référence à cet article du Code de procédure pénale qui oblige « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit (…) d’en donner avis sans délai au procureur de la République« . Ce n’est pas une question de droit, mais cela pourrait l’être.

Éviter de mettre du droit partout pour ne pas répondre au fond

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Les Surligneurs ne font pas dans le juridisme. Ce qui en l’occurrence est reproché au gouvernement, c’est le recours massif aux cabinets de conseil, à des tarifs qui semblent exorbitants à l’échelle du citoyen moyen, au lieu de faire appel aux ressources humaines existantes, notamment les agents des administrations et les universitaires, qui pour des sommes bien plus modiques versées à leurs laboratoires, produiraient de tout aussi beaux Powerpoints (on rappelle que Les Surligneurs sont en quasi-totalité des universitaires). 

S’il a été affirmé en défense que le gouvernement ne dispose pas de certaines compétences, ce qui est incontestable, alors il faut simplement réfléchir comme toute entreprise le ferait : faut-il, lorsqu’une compétence manque, recruter et donc internaliser, ou alors externaliser en faisant appel à des cabinets extérieurs ? Et toute entreprise placée face à ce dilemme réfléchit aux coûts à moyen et long terme. Combien d’agents publics spécialisés pourrait-on rémunérer à la hauteur de leurs compétences, par contrat à durée déterminée ou indéterminée, avec les sommes versées aux cabinets de conseil ?

Si toutefois on veut mettre du droit partout…

La procédure de mise en concurrence derrière laquelle se réfugie Emmanuel Macron n’est pas en cause. À notre connaissance, ce n’est pas du favoritisme qui est reproché au gouvernement, c’est-à-dire un délit consistant pour un agent public à recourir aux services d’un prestataire sans appel à la concurrence (ou par un appel biaisé), et puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 euros d’amende.

Il faut se poser la question non pas de la régularité formelle de ces consultations (c’est-à-dire le strict respect des procédures), mais de l’opportunité de cette dépense. Selon l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme, « tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi« . Certes, cela ne signifie pas que toute dépense doit recevoir l’assentiment des citoyens, ni que l’exécutif ne dispose d’aucune marge de manœuvre. Mais la même Déclaration a justifié la création d’une juridiction très méconnue, la Cour de discipline budgétaire et financière, dont bien des spécialistes regrettent la faible activité et la lenteur toute sénatoriale. 

Cette cour affirme pourtant régulièrement que si elle « n’est pas juge de l’opportunité des décisions de gestion« , elle peut « retenir que des manquements aux principes de bonne gestion et de préservation des intérêts patrimoniaux d’un organisme (public constituent une) infraction« . Voir, par exemple, cette affaire de 2021, dans laquelle les dirigeants d’une banque publique (la CDC Entreprises) distribuent en toute régularité formelle des dividendes excessifs à certains employés. Autrement dit, le respect des procédures ne suffit pas, encore faut-il gérer les services publics “en bon père de famille” comme on disait autrefois, en somme de façon économe et raisonnable. 

Le Code des juridictions financières punit en effet les personnes qui auront « enfreint les règles relatives (…) à la gestion des biens leur appartenant« . Cela signifie que tout agent en charge de la gestion d’un organisme public doit le gérer conformément aux intérêts patrimoniaux de cet organisme, sans lui causer de préjudice. La sanction : l’agent public fautif doit prendre en charge sur ses propres deniers le préjudice subi par son administration, en raison de sa faute de gestion. Seule réserve : les ministres et les élus ne peuvent être poursuivis devant cette cour, qui n’est compétente que pour leurs subalternes.

Contactée, l’équipe d’Emmanuel Macron n’a pas répondu à nos sollicitations.

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