Philippe Poutou : réquisitions sans indemnisation, interdictions, suppression de la publicité et autres promesses
Dernière modification : 30 septembre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Hereng et Emma Cacciamani
Source : Programme "Poutou 2022"
Faute d’avoir pu entendre Philippe Poutou dans le grand show télévisé de TF1, nous avons décidé d’éplucher le programme du Nouveau parti anticapitaliste.
Quelque peu frustrés par la décision de TF1 de n’accueillir que certains candidats au détriment des autres dans son show télévisé du 14 mars, nous avons décidé d’éplucher le programme de Philippe Poutou, du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Voici, sans prétendre à une exhaustivité qui nécessiterait plus de précisions sur ce programme, un florilège.
“Le NPA propose la réquisition, sans indemnité ni rachat, de secteurs clés de l’économie sous le contrôle des travailleurs·euses et de la population” (programme, p. 7)
Cela revient à une confiscation qui se revendique comme telle, et comme il y en eut après la Libération (exemple, la nationalisation de Renault pour collaboration). Il faudra toutefois abroger les articles de la Déclaration des droits de l’homme protégeant le droit de propriété (articles 2 et 17), et sortir du Conseil de l’Europe – rien d’impossible : la Grèce s’en était retirée en 1969 lors de la dictature des Colonels, la Russie vient d’en être exclue –, car la Convention européenne des droits de l’homme, un traité qui fait partie du Conseil de l’Europe, protège aussi le droit de propriété (1er Protocole, article 1er).
”Arrêt des productions inutiles (publicité, armement, etc.)” (programme, p. 8)
On n’évoquera pas l’arrêt de la production d’armement en ces temps d’incertitude géopolitique, pour s’en tenir au droit. Un des acquis majeurs de la Révolution française fut de sortir les masses populaires de la nasse économique dans laquelle les maintenaient les corporations, telles que les jurandes, guildes et autres maîtrises : une loi révolutionnaire des 2 et 17 mars 1791 proclama : “Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon”. Le Conseil d’État en tira en 1930 une liberté fondamentale, celle du commerce et de l’industrie, et le Conseil constitutionnel le suivit en 1982 avec la liberté d’entreprise issue du principe de liberté lui-même issu de la Déclaration des droits de l’homme. Cette liberté n’est pas absolue : elle cède face à l’intérêt général (l’ordre public, la santé publique, l’environnement, etc.). Il appartiendra donc à Philippe Poutou de préciser l’intérêt général permettant d’interdire les activités visées.
La publicité commerciale est aussi protégée au niveau européen par la Cour de justice de l’Union européenne depuis 2004, car elle fait partie des garanties de la libre circulation des marchandises. Elle fait aussi partie de la liberté d’entreprendre selon le Conseil constitutionnel (1991), tout producteur ayant vocation à assurer la publicité de ses produits.
“Réquisitionner les grands groupes de (l’énergie et de l’eau), sans indemniser les actionnaires qui se sont assez gavés” (programme, p. 15)
Même remarques que ci-dessus à propos de ce qui s’apparente à une nationalisation punitive pas à une simple réquisition (laquelle, en l’état du droit, suppose une indemnisation).
“Nationalisation de l’enseignement privé” (programme, p. 16)
Comme nous l’avions expliqué à propos de la promesse de Fabien Roussel de fermer les écoles hors contrat, l’enseignement privé est protégé par la Constitution au titre de la liberté d’opinion et de conscience. Cette liberté a été érigée au rang de principe constitutionnel en 1977. C’est pourquoi, si la loi rappelle que l’instruction obligatoire doit être “assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement”, elle peut être donnée “soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents (…) ou toute personne de leur choix” (Code de l’éducation). Cette liberté est également garantie par les accords internationaux. L’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme impose aux États de respecter le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants et de choisir un enseignement respectueux de leurs convictions religieuses et philosophiques.
“Amnistie pour les prisonniers politiques” (programme, p. 21)
Selon le Conseil de l’Europe, un prisonnier est dit prisonnier politique si, entre autres, sa “détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction, quelle qu’elle soit”. En France, il nous semble qu’une personne ne peut être emprisonnée que si elle a commis une infraction, qu’il s’agisse d’un délit ou d’un crime. Comme on a pu le souligner à propos d’Eric Zemmour, il n’existe pas de délit d’opinion. Il en résulte que si un délit ou un crime est commis en France pour des raisons politiques, et que l’auteur est emprisonné, cela ne fait pas de ce dernier un prisonnier politique, mais un prisonnier de droit commun.
Sous réserve d’information plus exhaustive, aucune organisation internationale significative, en charge des droits humains, ne dénonce la présence en ce moment de prisonniers politiques au sens juridique en France.
“Éducation antisexiste” (programme, p. 22)
Avec la suppression des écoles privées programmée plus haut, il faut déduire que tous les enfants bénéficieront d’une éducation dite “antisexiste”. Sans nous prononcer sur le contenu de cette éducation, qui n’est pas expliqué, attention tout de même aux risques de condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, pour endoctrinement (voir notamment une décision de 1976).
“Rupture avec les traités européens antidémocratiques et favorisant la concurrence libre et non faussée” (Programme, p. 22)
Cette proposition permet en partie de contrer certains de nos arguments ci-dessus. Il faut donc clairement parler de Frexit, c’est-à-dire une sortie des traités européens. Une procédure prévue par l’article 50 du traité sur l’Union européenne et utilisée par le Royaume-Uni. Mais afin de pouvoir continuer à commercer avec l’Union européenne, le Royaume-Uni a dû accepter de s’aligner avec la législation européenne en matière notamment d’interdiction des aides d’États… afin de ne pas entraver la concurrence et créer un dumping au détriment de l’Union européenne. Il faudra alors que Philippe Poutou parvienne à négocier plus de libertés que les Britanniques, à moins qu’il souhaite drastiquement réduire les échanges commerciaux avec nos voisins.
Création d’une “tranche de prélèvement à 100% à partir de cinq fois le SMIC” (programme, p. 28)
C’est confiscatoire, nous avons déjà eu l’occasion de le dire à propos d’une promesse de Jean-Luc Mélenchon sur les successions. Sauf à abroger les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le Conseil constitutionnel ne laisserait pas passer un tel impôt. Mais s’il parvient à réviser la Constitution (il lui faut une majorité suffisante pour cela), et qu’il sort du Conseil de l’Europe (et donc de la Convention européenne des droits de l’homme) et de l’Union européenne, cela devrait pouvoir se faire.
Explication de texte et relativisation
Nous avons bien compris qu’aux yeux de Philippe Poutou le droit, et surtout l’État de droit, n’est qu’un instrument d’oppression au service des classes dominantes : “Trop tard pour être modéré·e·s!” est-il écrit à la page 4 du programme. Nous ne sommes pas de cet avis, nous qui avons publié un entretien avec la professeure Laurence Burgorgue-Larsen qui explique que “le droit, c’est l’antidote contre l’arbitraire”.
Philippe Poutou poursuit : “Notre programme de rupture n’est pas un simple programme électoral mais bien un programme de lutte, qui assume le fait que les mesures proposées ne pourront être imposées à la classe dominante qu’avec des mobilisations d’ampleur les reprenant à leur compte : grèves, manifestations, occupations…” (p. 30). Notons cette dernière phrase ponctuée par des points de suspension lourds de sens. D’ailleurs, le candidat du NPA déroule son programme “sans illusion sur de prétendues solutions institutionnelles” (p. 31). Il est donc dans la nature et la finalité mêmes du parti NPA de s’affranchir de l’Etat de droit. Pareillement, il est dans la nature et la finalité mêmes des Surligneurs de le faire savoir.
Contacté, Philippe Poutou n’a pas répondu à nos sollicitations.
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