Selon Philippe Martinez (CGT), la suppression de la redevance TV est « une attaque contre l’audiovisuel public », qui doit rester la « propriété des Français »

Création : 9 mars 2022
Dernière modification : 30 septembre 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah

Source : France Info, le 8 mars 2022

La « redevance audiovisuelle » actuelle est en réalité un impôt comme d’autres, qui n’assure en rien ni la pérennité ni l’indépendance de l’audiovisuel public. Son mode de calcul est en outre toujours plus injuste fiscalement.

Il ne s’agit pas ici de défendre tel ou tel mode de financement de l’audiovisuel public ni même l’existence de celui-ci, ce n’est pas notre rôle. Mais Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, mélange ici un peu tout. Il est vrai qu’il n’a pas été aidé par la formulation pour le moins lapidaire d’Emmanuel Macron tendant simplement à supprimer la redevance audiovisuelle, formulation que son staff de campagne est venu immédiatement déminer en assurant que l’audiovisuel public ne serait pas lui-même supprimé.

L’audiovisuel public est déjà la propriété des Français, au sens figuré en tous cas, car il appartient en réalité à l’État à travers des sociétés dont il est entièrement actionnaire ou presque. Peu importe qu’il soit financé par une « redevance » (le terme est faux) ou directement par l’État lui-même. L’enjeu n’est pas l’appartenance, du moins dans la promesse d’Emmanuel Macron, mais l’indépendance de l’audiovisuel public. Or, on voit mal en quoi la mal nommée « redevance«  protège juridiquement cette indépendance.

La redevance, qui n’en est pas une, n’assure en rien l’indépendance de l’audiovisuel public

Ce qu’on appelle la « redevance audiovisuelle«  est en réalité une taxe. La différence ? Une redevance est la contrepartie d’un service rendu à l’usager et sert uniquement à financer ce service. Exemples : le péage autoroutier, la redevance de stationnement. Une taxe n’est pas la contrepartie d’un service, c’est un impôt pur et simple, qui alimente les caisses de l’État et dont le produit peut servir à n’importe quelle dépense publique : elle n’a donc pas de contrepartie directe.  C’est le législateur qui a longtemps entretenu – volontairement ? – cette confusion, en créant explicitement une  » taxe dénommée contribution à l’audiovisuel public « , tout en la décrivant, jusqu’en 2009, comme une  » redevance audiovisuelle «  dans le même article du Code général des impôts

La dénomination légale de cette redevance est donc en réalité « contribution à l’audiovisuel public« . « Contribution«  est un autre mot pour désigner une taxe ou un impôt, comme « contribution sociale généralisée » (CSG). Toutefois, à la différence d’autres taxes, la contribution à l’audiovisuel public est « affectée« . Cela signifie qu’elle est acquittée par le contribuable, et versée directement au budget des différentes composantes de l’audiovisuel public (télévisions, radios, INA notamment). Elle ne fait que transiter par le budget de l’État. À l’inverse, le produit des taxes non affectées va dans le budget de l’État et ressort à travers n’importe quelle dépense publique. Autrement dit, il est possible de suivre les 138 euros sortis de la poche du contribuable (coût actuel de cette taxe), jusqu’au budget des télévisions et radios publiques. Pour cette raison, Philippe Martinez insiste sur cette « appartenance«  aux Français, cet attachement. Ce n’est pas faux sur le plan psychologique, et la fiscalité, en France comme ailleurs, compte souvent sur la psychologie pour mieux faire accepter un impôt (les plus anciens se souviendront de la vignette automobile censée bénéficier aux plus anciens qu’eux encore à l’époque…).

Ce que propose le Président désormais candidat, c’est la suppression de la « contribution«  au profit d’un financement direct par le budget de l’État, donc l’ensemble des autres impôts.  Or, dans les deux cas (redevance ou budget de l’État), la pérennité du montant comme de l’existence même du budget de l’audiovisuel public ne sont en rien garantis, et ne dépendent que du bon vouloir du législateur, qui peut à tout moment rogner ce budget ou le supprimer. Que le montant de cette contribution ait pu être négocié avec les syndicats ou autres organismes intéressés ne change rien à cet aléa. Et d’ailleurs, il sera toujours possible de négocier, avec ou sans « redevance« .

Une taxe archaïque adossée à une autre taxe qui n’existe plus !

La contribution à l’audiovisuel public est prélevée en même temps que la taxe d’habitation… qui a déjà été supprimée pour 80 % des foyers et devrait l’être à 100 % à la fin de l’année 2023. La taxe d’habitation n’existe plus que dans le Code général des impôts, pour calculer le manque à gagner des communes (elles en étaient les principales bénéficiaires), et que l’État comblera. La taxe d’habitation est donc une taxe devenue fictive ou presque, puisque le financement des services publics communaux dépend désormais d’autres impôts comme l’impôt sur le revenu.

De plus, la contribution à l’audiovisuel public n’est payée que par les détenteurs d’un  » appareil récepteur de télévision ou un dispositif assimilé permettant la réception de la télévision pour l’usage privatif du foyer « , sous condition de ressources. Les ordinateurs et  autres smartphones n’en font pas partie, alors même que les contenus de l’audiovisuel public ont en bonne partie basculé vers ces supports. Il en résulte que bon nombre de contribuables bénéficient de l’audiovisuel public sans y contribuer financièrement faute de détenir de poste de télévision ou équivalent. Et sans évoquer celles et ceux qui n’utilisent leur télévision que pour la Playstation, assujettis à la taxe, mais non usagers du service…

Il en résulte que cette contribution est non seulement devenue une usine à gaz depuis que la taxe d’habitation a été supprimée, mais qu’elle est toujours plus injuste, laissant échapper toujours plus de téléspectateurs et d’auditeurs à son paiement. Avec pour conséquence que le montant de cette contribution devra augmenter, puisque de plus en plus de contribuables y échappent. Ce sont les fidèles au « poste de télévision«  qui paieront toujours plus, pour alimenter les « accros«  du smartphone. En somme, c’est ce qu’on appelle « l’assiette«  de cette taxe (qui paye, sur quels biens ou revenus) qui est injuste.

Revoir l’assiette du financement et asseoir l’indépendance

Alors que faire ? Revoir très certainement le mode de financement. Le fait que le budget de l’État puisse être mis à contribution directement revient à faire en sorte que plus de monde paie. Mais on peut aussi imaginer une taxe touchant bien plus de personnes, au-delà des seuls détenteurs de postes de télévision, c’est ce qu’Anne Hidalgo vient de proposer. Cela revient à élargir l’assiette du financement en somme.

Enfin, l’indépendance s’acquiert bien sûr par des garanties de financement. Mais surtout par des garanties juridiques : une loi, voire une réforme constitutionnelle sanctuarisant un audiovisuel public neutre et laïc, avec une autorité de contrôle indépendante (l’ARCOM) aux pouvoirs étendus, notamment en matière financière.

Contacté, Philippe Martinez n’a pas répondu à nos sollicitations.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.

Faites un don défiscalisé, Soutenez les surligneurs Aidez-nous à lutter contre la désinformation juridique.