Fabien Roussel propose “un grand service public du grand âge”, et que “toute gestion d’un Ehpad soit à but non lucratif”
Dernière modification : 30 septembre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Le Monde, 26 janvier 2022
Un “grand service public du grand âge” suppose de supprimer les EHPAD privés, qui représentent tout de même un quart d’une offre déjà insuffisante. Dans ce cas, Fabien Roussel veut-il nationaliser les EHPAD privés, les interdire, créer un monopole public (qui posera problème en droit européen…) ? Pourquoi ne pas simplement appliquer le droit existant face aux maltraitances mises au jour dans certains établissements, au besoin en le renforçant encore ?
Pourquoi faire compliqué ?
Fabien Roussel, candidat communiste à l’élection présidentielle, réagissait à ce qu’il convient désormais d’appeler le “scandale Orpéa”, en raison des conditions de vie des personnes âgées pensionnaires décrites par des enquêteurs, dans certains établissements. En France, les trois quarts des EHPAD sont publics ou associatifs à but non lucratif, et le quart restant privé à but lucratif, avec notamment les deux grands acteurs que sont Orpéa et Korian. Créer un service public du grand âge, excluant toute gestion privée à but lucratif, peut se réaliser de deux manières, dont l’une est juridiquement possible mais très coûteuse, l’autre posant plus de difficultés en droit.
Les hypothèses de Fabien Roussel : coûteuses et/ou contraire au droit de l’Union européenne
Éliminer les EHPAD privés n’élimine pas le besoin en places pour les personnes âgées devenues dépendantes. Les établissements privés existants répondent à un besoin qu’il n’est pas possible de combler instantanément, alors il faudrait les nationaliser. C’est possible, Mitterrand avait nationalisé une bonne partie de l’économie française en 1982 et la question s’était posée ensuite à propos de certaines entreprises en difficultés, ou encore des autoroutes. Mais nationaliser, cela signifie exproprier les propriétaires, donc racheter autoritairement toutes les actions au prix du marché (le Conseil constitutionnel y veille justement depuis 1982). Il faudra donc chiffrer le coût.
Créer un service public du grand âge, cela peut aussi signifier, sans nationaliser, créer une structure administrative gérant tous les EHPAD, sous un régime de service public, notamment grâce à une tarification proche du coût d’exploitation, sans bénéfices. La loi peut assurément créer ce genre de service public, mais alors que faire du secteur privé ?
Le laisser subsister en espérant que le service public en viendra progressivement à bout ? Cela pose un problème de concurrence : un service public n’est pas censé mener une concurrence déloyale contre le secteur privé, notamment par des prix prédateurs destinés à tuer toute concurrence. Nous l’avons déjà dit à propos d’EDF, le droit de l’Union européenne s’y oppose.
Il est aussi possible de ne plus délivrer d’autorisations d’ouverture d’établissements privés (car tout EHPAD, public ou privé, est autorisé par l’administration), et donc de laisser les autorisations en cours arriver à échéance (en général quinze ans), sans les renouveler. Mais fermer le secteur privé au profit du secteur public, cela s’appelle un monopole. Les monopoles ne sont pas interdits par le droit de l’Union européenne, dès lors qu’ils présentent un caractère sanitaire ou social. En 1993, la Cour de justice de l’Union européenne admet tout à fait ce type de monopole non commercial. Mais encore faut-il une justification sociale ou sanitaire, ce qui serait le cas des établissements très médicalisés, destinés aux personnes très dépendantes, sous réserve de ce qu’en dirait la Cour de justice. Il est beaucoup moins certain que la Cour de justice validerait un monopole sur les établissements moins médicalisés. À titre de comparaison, il n’y a pas de monopole public sur les soins hospitaliers…
Autre hypothèse : appliquer le droit existant, voire le renforcer
La maltraitance mise au jour dans certains EHPAD peut déclencher d’autres réponses administratives tout à fait compatibles avec la liberté d’entreprendre et le droit de l’Union européenne, moins coûteuses et surtout qui existent déjà : les inspections au sein des EHPAD, qu’il faut probablement intensifier, ce qui suppose une augmentation des moyens humains. Ces inspections peuvent être suivies au besoin de sanctions, prévues par la loi, qui peuvent aller jusqu’à la fermeture (suspension ou retrait de l’autorisation d’ouverture), après injonction de se conformer aux règles sanitaires, voire une astreinte de 500 euros par jour, laquelle peut aussi être rendue plus dissuasive par la loi. Il existe même des sanctions financières allant jusqu’à 1% du chiffre d’affaires réalisé en France. Elles peuvent être durcies.
Ajoutons l’action sur les tarifs, qui sont négociés avec la sécurité sociale lorsqu’elle en prend une partie en charge, et le pouvoir du département qui contribue également au financement. Et enfin les éventuelles poursuites pénales pour maltraitance sur personnes vulnérables ou non-dénonciation de maltraitance, la protection juridique des salariés des EHPAD dénonçant ces faits dans leur propre établissement. Les outils juridiques existent déjà, et peuvent tout de suite assurer une qualité de vie digne dans tous les EHPAD.
Contacté, Fabien Roussel n’a pas répondu à nos sollicitations.
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