Le ministre polonais, Piotr Nowak, affirme que “les traités ne donnent aucun pouvoir ni au Parlement européen ni à la Cour de justice d’interférer dans le système judiciaire des pays membres de l’Union”
Dernière modification : 30 septembre 2022
Autrice : Juliette Dudermel, master droit de l’Union européenne, Université de Lille
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, Université Panthéon-Assas Paris II, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay
Source : Les Echos, 27 janvier 2022
Ce n’est pas nouveau : l’Union européenne est compétente dès que l’organisation juridictionnelle d’un État membre peut permettre de mieux appliquer le droit de l’Union, et a fortiori lorsque cette organisation juridictionnelle entrave l’application du même droit.
Resituons le contexte : à la suite des différentes réformes judiciaires menées en Pologne, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par la Commission européenne, laquelle a estimé le 27 novembre 2021 que ces réformes portaient atteinte à l’indépendance des juges. Le Parlement européen avait, au préalable, adopté une résolution sur le sujet.
Le ministre du Développement et de la Technologie polonais, Piotr Nowak, conteste ces deux interventions, estimant que ces institutions interfèrent dans son système judiciaire alors qu’elles n’en ont pas le pouvoir. Il accuse l’Union européenne d’empiéter sur la souveraineté de la Pologne et récuse la possibilité pour les institutions de l’Union européenne d’interférer dans le système judiciaire des États membres.
L’Union européenne a bien son mot à dire sur l’organisation du système judiciaire interne
Or, contrairement à ce qu’affirme le ministre polonais, la Cour de justice de l’Union européenne n’outrepasse pas ses compétences en appliquant les articles 2 et 19 du traité sur l’Union européenne. Elle peut tout à fait intervenir dans l’organisation judiciaire des États membres lorsqu’elle estime que cette organisation pourrait porter atteinte à l’application effective du droit de l’Union dans le pays concerné.
C’est ainsi par exemple que l’Union a obligé les États membres à créer un référé devant le juge, spécifique aux marchés publics, pour mieux assurer l’accès de toutes les entreprises européennes aux marchés publics nationaux.
De même, le Parlement européen ne fait qu’appliquer les traités européens lorsqu’il formule des résolutions, qui sont des positions politiques, relatives au comportement de la Pologne vis-à-vis des valeurs de l’Union européenne.
La Cour de justice de l’Union européenne était bien dans son rôle juridique
En 2015, le parti Droit et Justice (PiS), parti ultraconservateur polonais, a accédé au pouvoir. Rapidement, il a décidé d’entreprendre une importante réforme judiciaire. Cette réforme prévoyait, entre autres, un départ à la retraite anticipée des juges polonais, la désignation de certains autres juges par le gouvernement, ainsi que la mise en place de nouvelles structures d’encadrement des juges, remettant en cause leur indépendance et leur impartialité. La Cour de justice de l’Union européenne a alors été saisie par la Commission européenne à l’encontre de la Pologne du fait d’atteinte à l’indépendance de ses juges.
Cette atteinte est contraire à l’article 2 du traité sur l’Union européenne qui énonce les valeurs de l’Union dont fait partie l’État de droit, lequel n’est garanti que par l’existence d’une justice indépendante. La réforme polonaise est également contraire à l’article 19 du même traité, qui prévoit une protection juridictionnelle effective de l’application du droit de l’Union (à savoir la garantie que les juges internes appliquent pleinement le droit de l’Union et ne feraient pas prévaloir un texte interne contraire).
Ces deux articles ont servi de fondement pour des poursuites contre la Pologne, engagées par la Commission européenne, ce que dénonce donc le ministre Piotr Nowak. La combinaison des deux articles précédemment cités a entraîné la décision suivante de la Cour de justice : les juges des États membres de l’Union européenne doivent être indépendants du pouvoir exécutif pour rendre leurs décisions, particulièrement lorsqu’ils appliquent le droit de l’Union.
C’est cette interprétation que la Pologne remet en cause. En conséquence, le Tribunal constitutionnel polonais a contesté la primauté de ces deux articles dans une décision d’octobre 2021. Pour lui, les articles 2 et 19 du traité sur l’Union européenne sont “incompatibles” avec la Constitution polonaise. En somme, il a fait prévaloir le droit polonais sur le droit de l’Union, alors que c’est précisément l’inverse qui est la règle dans l’Union.
Le Parlement européen était également dans son rôle… politique cette fois
Compte tenu de la décision du Tribunal constitutionnel polonais d’octobre 2021 remettant en cause la primauté du droit de l’Union, le Parlement européen a appelé la Commission à sanctionner la Pologne en mettant en œuvre la réglementation européenne qui conditionne l’octroi de fonds européens aux États membres au respect de l’État de droit.
Il ne faut cependant pas oublier que les résolutions adoptées par le Parlement européen sont politiques et symboliques, et n’obligent pas l’État membre visé à s’y conformer.
Contacté, Piotr Nowak n’a pas répondu à nos sollicitations.
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