L’Assemblée générale de l’ONU au secours de l’Ukraine

Création : 3 mars 2022
Dernière modification : 13 juin 2022

Auteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international

Mercredi, l’Assemblée générale de l’ONU a, pour la première fois depuis 40 ans, contourné le Conseil de sécurité, paralysé par le véto russe, pour condamner fermement l’agression de l’Ukraine.

Mercredi 2 mars, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, par 141 voix pour, 5 voix contre, et 35 abstentions, une résolution historique déplorant l’agression contre l’Ukraine et demandant à la Russie de mettre un terme immédiatement à son intervention armée. Une première pour l’ONU depuis 40 ans. 

Le Conseil de sécurité de l’ONU a normalement la responsabilité du maintien de la paix

Lorsqu’une rupture ou une menace de rupture de la paix et de la sécurité internationales est observée, c’est normalement le Conseil de sécurité des Nations Unies qui se saisit de la situation. Composé de quinze membres, dont les “P5” alliées pour la victoire en 1945 – Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie – qui en sont des membres permanents, le Conseil de sécurité s’est vu confier par la Charte des Nations Unies la ”responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales” (article 24). Cela implique une palette de pouvoirs prévus par le célèbre Chapitre VII de la Charte

Le Conseil de sécurité peut d’abord imposer à tout État qui commettrait des violations graves de la Charte des Nations Unies des sanctions pour le contraindre à faire cesser la menace à la paix, comme l’interruption complète ou partielle des relations économiques avec les membres de l’ONU, ou la suspension des communications ferroviaires, maritimes ou encore aériennes. Dans les cas où ces sanctions s’avèrent insuffisantes, le Conseil de sécurité peut aller jusqu’à autoriser le recours à la force contre l’État responsable. L’autorisation du Conseil de sécurité est l’une des trois seules justifications possibles à l’usage de la force en droit international avec l’appel à l’aide d’un État souverain, c’est-à-dire son consentement, et la légitime défense. Ce fut par exemple le cas s’agissant de la Somalie en 1992 ou de la Libye en 2011. Évidemment, la Russie ne peut pas justifier son intervention armée au titre d’une telle  autorisation : elle commet une agression à l’encontre de l’Ukraine, un fait largement reconnu qui entraîne déjà des réactions de plusieurs organisations internationales.

Cette agression constitue un motif d’action urgente de la part du Conseil de sécurité. Dès le 23 février, les États-Unis ont fait circuler un projet de résolution la condamnant. Ce projet était voué à l’échec : toutes les résolutions du Conseil de sécurité, à l’exception des décisions procédurales, peuvent être bloquées par un veto posé par l’un des cinq membres permanents… dont la Russie. La résolution a donc logiquement été rejetée le 25 février par 11 voix pour, 3 abstentions (Chine, Inde, Émirats arabes unis) et, surtout, le veto russe.

Par une résolution historique, l’Assemblée générale de l’ONU a pris acte de la paralysie du Conseil de sécurité 

Il s’agit donc d’un blocage du Conseil de sécurité : dès lors que l’un des “P5” est engagé dans un conflit dont il est à l’origine, son veto paralyse la machine onusienne de sécurité collective. Cette situation n’est cependant pas inédite. Dans une célèbre résolution “Dean Acheson” en 1950, du nom du Secrétaire d’État américain qui en eut l’initiative, l’Assemblée générale des Nations Unies prit acte du blocage soviétique sur le conflit coréen… mais considéra que le Conseil de sécurité n’avait, conformément à la lettre de la Charte, que la responsabilité “principale”, et non exclusive, du maintien de la paix. Depuis cette date, l’Assemblée générale, qui ne connaît pas de règles de veto, s’autorise à prendre le relais du Conseil de sécurité s’il est incapable d’assumer ses fonctions. Ce mécanisme exceptionnel a été utilisé plusieurs fois, par exemple concernant l’Afghanistan, la Palestine ou la Namibie entre 1980 et 1981… mais il ne l’a jamais plus été après 1982.

Dès le 27 février 2022, le Conseil de sécurité a ainsi voté une résolution procédurale – donc sans veto possible – pour appeler l’Assemblée générale à se réunir exceptionnellement sous 24 heures. Il ne restait plus à l’Assemblée générale des Nations Unies qu’à se prononcer, quarante ans après la dernière invocation de la résolution “Dean Acheson”, sur la situation en Ukraine, sans crainte d’un veto russe.

La résolution du 2 mars est un symbole fort 

La résolution adoptée le 2 mars qualifie d’ »agression », au sens du droit international, l’action de la Russie sur le sol ukrainien. Elle « Déplore dans les termes les plus forts l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, en violation de l’article 2 (4) de la Charte », « Exige de la Fédération de Russie qu’elle cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », et qu’elle se retire d’Ukraine. Elle appelle également au respect du droit international, notamment humanitaire, par toutes les parties, et n’oublie pas de pointer l’implication de la Biélorussie dans cette agression illégale. 

Historique, cette résolution, pourtant, ne va pas plus loin. Elle ne décide d’aucune sanction et ne recommande pas aux États membres de l’ONU d’en prendre – on pense par exemple au gel des avoirs des dirigeants russes, une décision déjà prise par l’Union européenne et quelques États dans le monde, et qui aurait pu figurer dans le texte. Au-delà des exigences formulées à l’égard de la Russie, la résolution demande seulement au Coordonnateur des secours d’urgence de fournir, sous trente jours, un rapport sur la situation et la réponse humanitaire en Ukraine (voir le paragraphe 13). Cette timidité est regrettable, mais on pouvait difficilement en attendre plus à ce stade du conflit.

D’abord, cette résolution est le fruit d’un compromis entre les États composant l’écrasante majorité – 141 États – qui l’a adoptée : elle est un symbole, qui montre la persistance du multilatéralisme et la prééminence du droit international, malgré les coups sévères qui leur sont portés. Paradoxalement, ce type d’atteinte majeure aux principes du droit international et à la paix entre les Nations peut souder la communauté internationale. Le fait que seuls cinq États – dont la Russie et la Biélorussie, directement impliquées et citées par la résolution, et trois régimes autoritaires – s’y soient opposés est significatif de l’adhésion massive de la communauté internationale, malgré l’abstention de certains éminents membres des Nations Unies, comme la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité. L’objectif de la résolution était également d’apporter un soutien, sous forme de confirmation officielle de l’existence de l’agression russe, aux différents régimes de sanctions adoptés par les États, l’Union européenne ou les autres organisations internationales.

Ensuite, il s’agit d’une première résolution, qui montre à la Russie l’unité de la communauté internationale. Elle ne ferme pas la voie à de futures résolutions plus contraignantes, à plus forte raison si les informations relatives à d’éventuels crimes de guerre commis par l’armée russe étaient avérées et se multipliaient dans les prochains jours.

Ce que l’Assemblée générale des Nations Unies peut faire de plus

En attendant que le Conseil de sécurité retrouve un fonctionnement normal, si tant est que cela soit possible – mais on se rappellera qu’il s’était relevé de l’illicéité totale de la guerre d’Irak initiée par les États-Unis en 2003 -, l’Assemblée générale pourrait se saisir de nouveau de la situation.

À cette occasion, plusieurs questions se posent, comme celle d’une éventuelle suspension des droits de vote de la Russie à l’ONU. À cet égard, l’article 5 de la Charte prévoit seulement qu’un État “contre lequel une action préventive ou coercitive a été entreprise par le Conseil de sécurité peut être suspendu par l’Assemblée générale, sur recommandation du Conseil de sécurité, de l’exercice des droits et privilèges” à l’ONU. Autrement dit, une double action préalable du Conseil de sécurité est indispensable à l’activation de ce levier : action contre l’État puis recommandation à l’Assemblée générale. Bien que la situation actuelle soit à tous égards extraordinaire et qu’il ne puisse pas être exclu que l’Assemblée générale décide là aussi de tenir compte du blocage du Conseil de sécurité, cette hypothèse semble improbable. Au-delà de la question juridique, les États membres n’ont aucun intérêt à exclure la Russie des négociations en leur sein ni à provoquer son départ : c’est justement en garantissant la possibilité de négocier d’égal à égal dans une enceinte privilégiée comme l’ONU que des solutions, puis des réparations pourront voir le jour. 

Une nouvelle résolution autorisant voire incitant les États à prendre des sanctions, notamment économiques, serait cependant envisageable si la situation ne s’améliorait pas et que le Conseil de sécurité continuait à manquer, par sa paralysie, à ses responsabilités. À cet égard, la résolution “Dean Acheson” va jusqu’à ouvrir la possibilité, pour l’Assemblée générale, de recommander l’usage de la force armée pour maintenir ou rétablir la paix. Cette potentialité n’a jamais été exploitée jusqu’ici. 

Il y a tout lieu de penser que les États membres de l’ONU, qui cherchent principalement, tout en assistant l’Ukraine, à résorber diplomatiquement le conflit pour éviter le scénario d’une guerre mondiale entre puissances nucléaires, s’abstiendront de recommander l’usage de la force. La timidité de la résolution du 2 mars, malgré son caractère historique, le confirme. Mais une certitude demeure : le multilatéralisme est loin d’être enterré.

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