Michel Barnier veut interdire le port du voile dans l’espace public et dans les universités
Dernière modification : 27 juin 2022
Auteur : Lucas Massoni, master Droits de l’homme et Union européenne de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Le Figaro, 8 novembre 2021
Le voile à l’université ou dans les autres espaces publics est avant tout la manifestation de la liberté de conscience, principe constitutionnel qui ne peut être écarté qu’au profit d’un autre principe constitutionnel. Or on ne voit pas lequel. Et surtout, il y a discrimination : pourquoi le voile et pas les autres signes vestimentaires religieux ?
En vue de sa participation prochaine au congrès des Républicains, Michel Barnier, candidat aux primaires LR pour l’élection à la Présidence de la République, a déclaré qu’il était favorable à l’interdiction du voile dans “l’espace public et dans les universités”. Or, cette interdiction porterait atteinte à la liberté de conscience et de religion, garantie par la Constitution et les textes européens.
Rien en France n’interdit de porter des signes religieux (la croix, la kippa, le foulard islamique, le turban, etc.) dans l’espace public. Il appartient à chacun d’exercer ce choix selon sa liberté de culte, de croyance et de religion garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”.
Cette liberté de conscience est également protégée par la Convention européenne des droits de l’homme en son article 9, qui prévoit que “la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui (…) constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit les mêmes garanties de sauvegarde de la liberté de conscience.
Le voile à l’université tient du principe constitutionnel de liberté de conscience
Si la loi du 15 mars 2004 sur la laïcité interdit effectivement le port de signes ou de tenues à caractère religieux dans les écoles, les collèges et les lycées publics, celle-ci ne s’applique pas aux établissements privés confessionnels, ni aux établissements publics de l’enseignement supérieur. S’agissant de ces derniers, cette différence de traitement s’explique davantage par la nécessité de protéger les mineurs de tout prosélytisme, que par une volonté d’interdire les manifestations d’appartenance religieuse dans les lieux d’enseignement. À l’université, les étudiants sont pour la quasi-totalité majeurs et nécessitent donc moins de protection, même si la loi sur la laïcité de 1905 s’applique, et que, selon la Constitution (préambule de 1946),”l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat”. Il y aurait donc un fort risque d’inconstitutionnalité d’une loi interdisant le voile à l’université.
Pourquoi le voile et pas les autres signes d’appartenance religieuse ?
Dans les autres espaces publics, le principe constitutionnel de liberté de conscience prévaut, sauf s’il est démontré qu’il crée une menace pour l’ordre public. Par exemple, sont admis les règlements intérieurs des piscines municipales qui prohibent la baignade habillée – et donc le “burkini” au même titre que les bermudas et shorts de bains – pour des raisons d’hygiène. En revanche, les arrêtés municipaux dits “anti-burkini” sur les plages publiques, ont été censurés par le Conseil d’État car jugés excessifs (à une seule exception près, en raison de violences). De même, à l’exception des fonctionnaires, soumis au devoir de neutralité qui leur interdit de manifester tout signe d’appartenance religieuse durant leur service, tout usager d’un service public est libre en principe de porter une tenue ou un signe à caractère religieux.
Si Michel Barnier entend spécifiquement interdire le port du voile, il devra donc justifier cette atteinte aux libertés, et on ne voit pas, en l’état du droit, sur quel fondement juridique il pourrait s’appuyer. Surtout, il devra justifier le fait que seul le voile soit visé, et pas la croix, le turban ou d’autres signes d’appartenance religieuse. Il y a là un risque de censure par le Conseil constitutionnel, au motif d’une discrimination.
De même, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait estimer que cette interdiction porte atteinte à l’article 9 de la Convention, comme elle l’a déjà fait pour d’autres pays.
Le voile simple ne peut être assimilé au voile intégral du point de vue sécuritaire
Enfin, il est vrai que la loi du 11 octobre 2010 est venue restreindre cette liberté en interdisant le port du voile dit “intégral” dans l’espace public, les transports et les services publics. Cette mesure, jugée conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, ne concerne toutefois que le niqqab et la burqua et se justifie au regard de l’impératif d’ordre public, qui exige que toute personne puisse être identifiée dans l’espace public. L’interdiction dans l’espace public du port du voile dit “traditionnel” (le hijab) – qui ne recouvre pas le visage – ne pourrait ainsi être justifiée pour les mêmes motifs. Difficile donc d’interdire le port du voile traditionnel dans l’espace public sur le fondement d’un risque sécuritaire.
Contacté, Michel Barnier n’a pas répondu à nos sollicitations.
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