Arnaud Montebourg promet s’il est élu de racheter “le million de biens immobiliers vacants et de très faible valeur” et de les “céder” aux non-propriétaires
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Libération, 4 septembre 2021
En principe l’État ne peut rien céder gratuitement à qui que ce soit. Il y a des exceptions, mais très encadrées. Et puis, comment s’assurer que la remise en état du bien aura bien lieu, dans des conditions environnementales correctes, alors que la “faible valeur” de ces biens s’explique justement par le coût de leur remise en état ?
L’élection présidentielle approchant, les promesses commencent à fuser, avec leur lot d’incertitudes juridiques. C’est le cas de celle d’Arnaud Montebourg, ancien ministre ayant déclaré sa candidature à l’élection présidentielle ce week-end depuis sa ville de Clamecy. Il envisage que “l’État rachète le million de biens immobiliers vacants et de très faible valeur qu’il a identifié et les cède à ceux qui veulent s’y installer, à condition qu’ils les remettent en état.”
L’ÉTAT NE PEUT JAMAIS CÉDER UN BIEN PUBLIC GRATUITEMENT
Or, il y a un gros obstacle juridique : selon une jurisprudence très ancienne, reprise par le Conseil constitutionnel depuis 1986, les collectivités publiques n’ont pas le droit de consentir des “libéralités” (c’est-à-dire des cadeaux) aux personnes privées. C’est une question d’égalité. Un cadeau de l’État à certaines personnes – y compris des entreprises – serait injuste à l’égard des autres. Il existe au moins deux exceptions, et la proposition d’Arnaud Montebourg devra s’y conformer.
LES EXCEPTIONS SONT TRÈS ENCADRÉES
L’intérêt social : première exception, l’État consent énormément d’aides sociales qui sont autant de “cadeaux”, mais selon des critères bien définis par la loi, et qui bénéficient à toute personne répondant à ces critères, dans un but social. Il y a bien inégalité entre les bénéficiaires et les autres, mais le but social compense juridiquement. La promesse d’Arnaud Montebourg devra donc faire l’objet d’une loi, avec des critères sociaux et un barème précis.
La contrepartie : la seconde exception, qui se passerait de loi, serait l’existence d’une contrepartie, comme le suggère d’ailleurs la promesse d’Arnaud Montebourg. Les bénéficiaires remettraient le bien en état en contrepartie. Mais il y a un problème : une fois que l’État a cédé le bien, il lui est difficile d’exiger des travaux de remise en état, car il n’en est plus propriétaire.
Donc, soit l’État “prête” le bien au bénéficiaire avec une contrepartie de travaux, une sorte de location gratuite en somme. Reste à savoir pour combien de temps, sans que cela n’apparaisse comme un don déguisé. Soit l’État cède gratuitement le bien en question avec condition résolutoire de remise en état (c’est-à-dire que si les travaux ne sont pas effectués la vente est annulée). Mais il faut alors déterminer la nature et l’ampleur des travaux. Simple bricolage ? Appel à des entreprises ? Et en plus, il faudra prévoir une certaine qualité environnementale de la remise en état. Or, si les biens en question ont une faible valeur, c’est très logiquement que leur remise en état sera coûteuse, surtout si elle doit respecter des conditions environnementales. Cela signifie-t-il que seules des personnes aisées bénéficieraient du dispositif ?
LE RISQUE SPÉCULATIF
Autre obstacle juridique et économique, celui du rachat par l’État de tous ces biens “de très faible valeur” disséminés sur le territoire : rien que l’annonce de ce rachat ferait inévitablement monter les prix de ces biens et créerait même une spéculation, et cela aussitôt qu’Arnaud Montebourg serait déclaré élu. C’est déjà arrivé avec la promesse de François Mitterrand de nationaliser des banques et des grandes entreprises en 1981 : le cours de leur action en bourse a monté en flèche dès son élection. Il avait alors fallu créer un montage juridique pour trouver un juste prix d’acquisition par l’État sous la surveillance du Conseil constitutionnel qui avait jugé contraire au droit de propriété certaines modalités d’évaluation du prix des entreprises nationalisées. Le même problème se poserait en 2022.
Enfin, si les propriétaires privés actuels de ces biens ne veulent pas vendre à l’État en 2022, rien ne les y obligera, sauf à les exproprier. C’est une procédure très lourde, très encadrée, et très longue…
Contacté, Arnaud Montebourg n’a pas répondu à nos sollicitations.
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