Bigard-Magazine met à nu Jennifer Lawrence : la liberté d’expression justifie-t-elle une atteinte à la vie privée ?
Dernière modification : 24 juin 2022
Autrice : Miriana Exposito, rédactrice
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit, enseignante à l’université Paris-Saclay et Sorbonne-Nouvelle
Depuis le 22 juillet 2021, le nouveau magazine humoristiquement érotique de Jean-Marie Bigard est disponible dans les kiosques. Au programme : des photos de femmes nues accompagnées des blagues de l’humoriste. Si sa femme a souhaité figurer nue dans le magazine, ce n’est pas le cas de Jennifer Lawrence. Bigard a créé la controverse en publiant des photos intimes sans son accord. Les photos en question avaient été rendues publiques à la suite d’un piratage en 2014 du téléphone de l’actrice et avaient circulé en masse sur les réseaux sociaux. Cet incident avait donné lieu à la condamnation du hackeur à 9 mois de prison.
Pour autant, Bigard n’a pas hésité à republier, 7 ans plus tard, les fameuses photos volées dans son magazine. Évidemment, le seul fait qu’une personne exerce une activité publique ne saurait justifier une atteinte à sa vie privée et Jennifer Lawrence pourrait tout à fait porter plainte contre l’humoriste. Toutefois, Bigard ne se priverait sans doute pas, pour sa défense, d’invoquer la liberté d’expression.
LIBERTÉ D’EXPRESSION VERSUS DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
De toute évidence, nous avons ici deux droits en conflits : la liberté d’expression de l’humoriste d’un côté, le droit au respect de la vie privée de Jennifer Lawrence de l’autre. Peut-on porter atteinte à la vie privée au nom de la liberté d’expression ? Lequel des deux droits l’emporte sur l’autre ?
La liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée sont tous les deux des droits fondamentaux nécessaires dans une société démocratique. En effet, ils sont tous les deux protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ainsi, leur violation peut faire l’objet de sanctions.
D’ailleurs, la gardienne de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme, a déjà eu l’occasion de trancher entre ces deux droits à de nombreuses reprises. Sa position varie en fonction de l’affaire qui lui est soumise. En tout cas, elle fait en sorte qu’un équilibre soit trouvé entre la protection de la vie privée et la liberté d’expression. Donc, l’atteinte à la vie privée d’une personne publique peut tout à fait être justifiée par la liberté d’expression et ne pas être sanctionnée. Dans une affaire allemande de 2017, la Cour a d’ailleurs reconnu que le fait pour un média de publier un article émettant l’hypothèse de liens entre un individu et le crime organisé russe ne constituait pas une violation de sa vie privée.
Il n’y a pas violation de la vie privée s’il y a un débat d’intérêt public
Pour se positionner, la Cour utilise le critère de “la contribution à un débat public général”. Si l’information dévoilée est d’intérêt général, la Cour a tendance à considérer qu’il n’y a pas violation de la vie privée.
Mais que veut dire, “contribution à un débat d’intérêt public” ? En réalité, cette notion est assez floue et difficile à définir. La Cour regarde, au cas par cas, si le public à un intérêt légitime à avoir connaissance des éléments divulgués. Si c’est le cas, la liberté d’expression justifie la violation de la vie privée. Par exemple, la Cour a considéré qu’une photo de famille du prince de Monaco en vacances entrait dans le débat général, étant donné que le public s’inquiétait de son état de santé. Dans une autre affaire française de 1999, elle a estimé que la publication dans le Canard enchaîné du montant des impôts que payait le président de Peugeot était également un sujet d’intérêt général.
Quoi qu’il en soit, si une plainte devait être déposée, il y a fort à parier que Bigard ferai l’objet de sanctions pénales. En effet, les photos d’une star nue ne soulèvent absolument aucun débat d’intérêt public et les juridictions nationales iraient sans doute dans ce sens. Donc, la violation de la vie privée de l’actrice ne saurait vraisemblablement pas être justifiée par la liberté d’expression de l’humoriste, qui risquerait jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (article 226-1 du Code pénal). Affaire à suivre…
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