Députés “blacklistés” par le Parlement européen : le rôle des missions d’observation électorales mis en lumière
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Léon Gautier, rédacteur
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Le 28 juin dernier, plusieurs députés européens, parmi eux des députés français d’extrême droite dont le candidat malheureux en PACA Thierry Mariani, ont été sanctionnés par le Parlement européen pour s’être rendus notamment en Crimée et au Kazakhstan au moment d’élections importantes, pour y effectuer ce que l’institution de Strasbourg considère comme une participation à de fausses missions d’observations électorales. La possibilité de participer à des missions d’observation électorale officielle leur a dès lors été enlevée et ce, jusqu’à la fin de l’année.
Ces missions de députés européens ne sont pas nouvelles, puisque sur la scène internationale, les objectifs poursuivis par l’Union européenne sont entre autres de promouvoir la démocratie et l’État de droit (article 21 du Traité sur l’Union européenne). À cette fin, un des outils employés est le déploiement de missions d’observations électorales.
Ces missions consistent à envoyer un député du Parlement européen au sein d’un pays non membre de l’Union dans lequel se déroule une élection importante. Une fois sur place, le parlementaire est chargé d’assister au déroulement des élections et d’attester ou non de leur bonne tenue.
8 députés européens sur “liste noire” jusqu’à la fin de l’année
Ce statut d’observateur officiel de l’Union est très encadré. C’est d’ailleurs pour avoir assisté à des élections dans différents pays autocratiques sans aval de l’UE, que les 8 députés européens ont été sanctionnés par le Parlement.
Dans le détail ce sont 5 députés français d’extrême droite membres du groupe Identité et démocratie au Parlement européen : Virginie Joron, Hervé Juvin, Jean-Lin Lacapelle, Thierry Mariani, et Philippe Olivier, de même que 3 députés de la Gauche unitaire européenne : Clare Dal, Mick Wallace et Manu Pineda, qui ont été placés sur “liste noire” du Parlement européen.
Si l’expression “liste noire” laisse à penser que les sanctions prises à leur encontre sont conséquentes, en réalité ils n’ont que l’interdiction de participer à de nouvelles missions d’observations d’ici la fin de l’année ; le reste de leurs prérogatives en tant que membres du Parlement européen comme le droit de vote et d’amendement demeure.
Des missions d’observation qui conditionnent les relations économiques et diplomatiques avec l’Union européenne
Si ces missions d’observation sont si importantes aux yeux des pays tiers, c’est qu’elles leur permettent potentiellement d’obtenir le statut de démocratie aux yeux de l’Union européenne. Les intérêts d’une telle reconnaissance sont doubles. D’un point de vue diplomatique, l’Union favorise le dialogue avec les démocraties et d’un point de vue économique, elle est plus prompte à financer des pays respectant les droits de l’Homme et l’État de droit. À ce titre, l’Union européenne n’hésite pas à conditionner l’octroi de fonds d’aide au développement au respect de différents droits humains.
Les observateurs officiels sont nommés par le chef de la diplomatie européenne, le Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité commune. Une fois sur place, les observateurs doivent suivre une méthodologie rigoureusement établie par la Commission européenne, dont le Haut représentant est un des vice-présidents. Cette méthodologie vise à constater que les standards internationaux de respect de la démocratie et de l’État de droit sont respectés, standards issus des différents traités et déclarations qui régissent les relations internationales tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, deux textes adoptés au sein des Nations Unies. Rien d’étonnant à cela, puisque les traités (article 21 TUE) exigent que sur la scène internationale, l’Union promeuve les principes de la Charte des Nations Unies.
Déployés en amont des élections et jusqu’à la prise de pouvoir du vainqueur, les observateurs ont pour objectif de constater le respect de plusieurs critères allant de la liberté des partis politiques de se réunir et d’exprimer leurs opinions, jusqu’au déroulement du scrutin et au dépouillement des votes en passant par l’égal accès aux médias pour tous les candidats.
De manière générale, toutes les questions concernant la nature démocratique de l’élection avec par exemple les violences de campagne, l’État de droit ou le cadre législatif sont évaluées.
Un symbole fort
Mais attention, le rôle des observateurs n’est en aucun cas d’intervenir dans le processus électoral afin de soutenir un candidat en particulier. Ils sont uniquement là pour attester que les élections respectent les critères démocratiques. Bénéficiant du prestige du Parlement européen, ils sont des étendards des valeurs que l’Union européenne soutient et exporte, portant avec eux le lourd passé d’un continent ayant sombré plusieurs fois dans la guerre et la dictature.
Mais c’est aussi parce qu’ils sont des symboles forts que ces observateurs sont la cible de détournement de la part de régimes peu démocratiques tels que la Russie ou le Vénézuela.
Selon l’ONG European Platform for Democratic Elections, spécialisée dans la lutte contre les faux observateurs, la Russie serait coutumière de ces pratiques avec l’emploi de 5000 observateurs de paille lors de la dernière présidentielle Russe. Au-delà de l’image, ces fausses missions selon Stefanie Schiffer, directrice de l’ONG et qui a participé au Parlement européen à une mission d’évaluation de ces pratiques, sont un moyen pour des pouvoirs autocratiques de corrompre des députés européens, qui pourraient ensuite être influencés dans des choix concernant d’autres sujets que des élections étrangères. Des motivations politiques ont peut-être motivé la décision du Parlement européen à l’encontre de ces députés qui ne font pas partie de la coalition au pouvoir à Bruxelles, mais il devenait urgent de réagir face à des pratiques que le député Tomas Tobé, président du Groupe de soutien à la démocratie et de coordination des élections au Parlement européen, considère comme “alarmantes”.
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